
Imaginé par Carlo Collodi en 1881, Pinocchio semble être de ces contes qui ne cessent de trouver grâce et intérêt aux yeux des cinéastes, depuis l’adaptation de Giulio Antamoro en 1911. Après le catastrophique remake orchestré par Robert Zemeckis chez Disney en septembre dernier, c’est au tour de Guillermo Del Toro, passionné depuis ses débuts par les freaks, de poser un nouveau regard sur l’œuvre de l’auteur italien.
Longtemps rêvé par son auteur, Pinocchio a tous les airs de l’adaptation idéale, parfaite symbiose entre son style et le texte originel. Par le choix d’une sublime animation en stop-motion, le cinéaste décide de puiser dans la dimension organique du conte et construit un passionnant théâtre de corps. Des mouvements articulés du petit garçon jusqu’à la silhouette cassée de Gepetto ou celle patibulaire du Comte, tous les protagonistes gagnent en authenticité, semblant porter sur eux le poids des années et des sévices endurés. Le choix d’une telle direction artistique, qui embrasse autant la noirceur de son monde que sa discrète beauté, sonne comme une évidence, aussi bien par rapport au texte source qu’à la carrière de Del Toro.
Troisième opus officieux de sa trilogie de l’enfance, débutée avec L’échine du Diable puis poursuivie avec Le Labyrinthe de Pan, le long-métrage fait le choix passionnant d’historiciser le récit – chose que beaucoup des adaptations précédentes avaient esquivée – en plaçant son action dans l’Italie de l’Entre-deux-guerres. L’auteur transcende soudain la trame initiatique pour orchestrer un jeu de miroir passionnant entre les “pères et fils imparfaits”, entre la survivance de son héros et la mortalité de ses comparses, etc.
Bien que parfois limité par le didactisme épisodique inhérent à son genre qui entraîne des variations de rythme assez inégales, le récit voit ainsi sa gravité et ses enjeux décuplés. Face aux conséquences de la guerre et à la montée du fascisme, les thématiques instaurées par Collodi trouvent une noirceur renouvelée et paraissent plus que jamais submergées par la fatalité, que le cinéaste contemple désormais avec un regard apaisé. Dans cette mélancolie sourde et omniprésente, Del Toro confirme avoir atteint une certaine maturité et offre une œuvre à l’image de ses freaks : imparfaite mais ô combien touchante.
Pinocchio / De Guillermo del Toro et Mark Gustafson / Gergory Mann, Ewan McGregor, Ron Perlman, Tilda Swinton / U.S.A / 1h57 / Sortie le 9 décembre sur Netflix.