Bardo, fausse chronique de quelques vérités

Disponible sur Netflix

© Park/Netflix

Depuis The Revenant et les couronnes de lauriers, Iñarritu s’était retiré des plateaux, le temps de prendre du recul et de souffler un peu. C’est par la porte de Netflix qu’il fait son retour très attendu, avec Bardo, fausse chronique de quelques vérités, que le public français n’aura hélas pas l’opportunité de découvrir en salles. Trip onirique, méta et introspectif, Bardo est non seulement le film du retour au cinéma pour l’auteur, mais surtout du retour au Mexique qu’il n’avait pas foulé du pied de sa caméra depuis Amours Chiennes. Ce motif du retour fonde un récit du seuil, de l’interstice, dont témoigne son titre qui évoque l’intervalle bouddhiste entre la mort et la renaissance.

Silverio Gama est un journaliste et documentariste mexicain réputé, installé à Los Angeles depuis plus de trente ans. Alors qu’il doit recevoir un prix prestigieux dans son pays d’adoption, le cinéaste retourne avec sa famille à Mexico pour célébrer sa distinction. Ce séjour engendre une crise existentielle et identitaire pour Silverio, lèche-bottes des « Gringos » pour les Mexicains, éternel étranger pour les américains. Cette condition d’un personnage (reflet bien sûr d’Iñarritu lui-même) pris entre deux espaces, deux identités conflictuelles et – on ne le comprendra vraiment qu’à la fin – deux états de l’être, transparaît dans le déploiement d’une vaste image-rêve fellinienne, qui se plaît allègrement à transgresser les frontières narratologiques, les règles de la chronologie et de la vraisemblance. Une forme rigoureuse de l’informe, enthousiasmante pour tout adepte de récits mentaux labyrinthiques.

Si nombre de critiques semblent se gargariser d’accuser l’auteur mexicain de prétention et de narcissisme, une posture jubilatoirement mise en abyme au milieu du film, on se gardera bien de prendre part à ce qui a tout l’air d’un procès d’intention qui, arbitrairement, lui colle au chaussures. Ressac brutal, sans doute, d’une hâtive et trop grande vague de louanges. On ne fera toutefois pas l’économie de pointer l’écueil d’une avalanche d’effets, parfois de mauvais goût lors de métaphores ironiquement littérales, qui ensevelissent l’émotion. La véhémente passion d’Iñarritu pour les mouvements de caméras n’est ici pas en cause, puisqu’elle se justifie par le régime de la confusion et le statut flottant d’un personnage qui voit le monde « filer entre [ses] doigts ».

Malgré sa lourdeur intempestive, Bardo tire son charme de ses tons fantaisistes, quand le fantasque s’immisce soudainement dans le vraisemblable, moins à la manière de Fellini que du réalisme magique, cette idiosyncrasie sud-américaine au prisme de laquelle Iñarritu revendique sa désertion du registre réaliste pour exalter les capacités infinies de la fiction à exprimer les crises intimes et collectives.

Bardo, fausse chronique de quelques vérités / De Alejandro Gonzalez Iñárritu / Avec Daniel, Giménez Cacho, Griselda Siciliani, Ximena Lamadrid, Andrés Almeida / Mexique / 2h40 / Sortie le 16 décembre.

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