
À première vue, l’œuvre de Zheng Li Xinyuan se présente comme une introspection de la cinéaste motivée par la contrainte du confinement. La caméra suit sans faillir le regard que la réalisatrice porte sur son environnement, à la fois celui extérieur, maintenant inaccessible, tout comme intérieur, entre les quatre murs impersonnels de sa chambre d’hôtel. Dans cet espace restreint, elle abat toutes ses barrières et aborde sa relation conjugale avec une proximité confondante : l’introduction les présente nues, dans leur lit, s’amusant avec un préservatif gonflé comme un ballon. Cette intimité in medias res, presque déstabilisante, n’est pourtant que la base de Jet Lag qui alors amorce un mouvement d’expansion continu.
Voilà que le film nous transporte dans la banlieue chinoise pour ensuite faire un détour en Birmanie, de ses monuments les plus renversants à son coup d’état récent. Le regard de la réalisatrice ne se porte plus sur l’intimité de son couple mais maintenant sur les rapports distendus au sein d’une large famille, à travers des vidéos de voyage filmées sur plusieurs années. Les déplacements de la famille de Zheng Lu Xinyuan sont surtout pour rechercher des parents lointains, les récits des ancêtres oubliés, chacun enrichissant la mosaïque familiale mise en œuvre par une réalisatrice perdue.
Riche et personnel, le film l’est certainement, à un point qui frise l’excès. Les périples autour du monde peinent à convaincre, la faute à une distanciation étonnante entre la réalisatrice et son sujet. Toujours muette, Zheng Lu Xinyuan disparaît derrière sa caméra dans ce qui semble être une timidité pudique. Le noir et blanc de l’image accentue cette impression de froideur calculée et nous empêche d’être transportés au sein de cette famille nombreuse et trop peu intéressante. Quête d’identité, conflit des générations, travail de mémoire et du langage, histoire d’une famille en parallèle à celle d’un pays, Jet Lag s’enlise, aborde tous ses propos sans en approfondir un seul. Les scènes revenant au présent dans la chambre d’hôtel deviennent, malgré elles, des entractes bienvenus, des pauses de simplicité et de sincérité au milieu d’un océan de confusion.
Pourtant, une fulgurance survient, cruellement trop tard. Le père de la réalisatrice, agacé d’être constamment sous caméra, entreprend de filmer sa fille par revanche mesquine. Les voilà ainsi, face-à-face, chacun renvoyant à l’autre le regard de leur objectif, en silence. L’image de ce père stoïque brandissant son téléphone comme une arme et suffit à transcender tout le reste de Jet Lag : celui d’un regard inquisiteur mais distant, froid mais résolu à célébrer une humanité en quête de sens.
Jet Lag / de et avec Zheng Lu Xinyuan / 1 h 59 min / Suisse, Autriche / sortie le 22 février 2023.