Rencontre avec : Sam H. Freeman & Ng Choon Ping

Berlinale 2023

Sam H. Freeman et Ng Choon Ping lors de la conférence de presse à la Berlinale © Chloé Caye

Sam H. Freeman et Ng Choon Ping réalisent avec Femme un thriller électrisant. Ce premier film, sélectionné dans la catégorie Panorama à la Berlinale, traite de l’idée de travestissement quotidien et du danger d’être dévoilé pour ce qu’on est vraiment. Reprenant certains codes du film noir et dévoilant un génial sens du suspens, Femme est une virée nocturne torride et étouffante. À Berlin, nous avons rencontré les deux amis et cinéastes.

Sam vous avez surtout travaillé à la télévision et Ping plutôt au théâtre, qu’est-ce que vous vous êtes apportés mutuellement, en terme de compétences, dans la création de ce film ?

Sam H. Freeman : Effectivement, mon expérience en est une de scénariste à la télévision et Ping de metteur en scène au théâtre. Donc quand nous nous sommes retrouvés à vouloir faire un film ensemble, nous avons vraiment eu l’impression que nos capacités se complétaient. Aucun de nous n’a fait d’école de cinéma donc on a du faire appel à nos connaissances respectives quant à l’art de raconter des histoires. J’étais plus familier avec les façons d’écrire alors que l’approche de Ping est très visuelle. On a beaucoup appris l’un de l’autre et on a pu s’appuyer mutuellement sur les forces de l’autre. Au sein d’un duo, les deux peuvent essayer d’être identiques, ce dont je ne vois pas vraiment l’intérêt ou, au contraire, se dire qu’on est justement plus d’un parce qu’on a deux domaines de compétences complètement différents. 

Ng Choon Ping : En tant que scénariste, tu avais parfois du mal à trouver de quelle façon faire aboutir ta vision. À l’inverse, moi en tant que metteur en scène, je trouve difficile de construire en amont ce que j’avais envie de montrer à l’écran. Donc c’était une superbe opportunité pour nous de pouvoir contrôler tout du début à la fin : de la conception de l’histoire jusqu’à maintenant, être assis ici avec vous !

C’est un premier film très ambitieux, surtout sur l’aspect de la réalisation car quasiment tout le film se déroule de nuit. Pourquoi avez-vous tenu à raconter cette histoire de nuit et quelles étaient les difficultés principales liées à ce choix ?

N. C. P. : C’était très compliqué à tourner parce que ce sont surtout des extérieurs de nuit et nous avons tourné en juin. C’est l’été donc les nuits étaient courtes. Généralement on arrivait sur le plateau avant le coucher du soleil et il fallait attendre, puis, quand la nuit arrivait tourner très vite avant l’aube. Donc c’était un rythme assez difficile mais exaltant.

S. H. F. : C’était très important pour nous que ce soit un film de nuit, comme beaucoup d’œuvres qui nous ont inspiré : Good Times des frères Safdie ou les films de Nicolas Winding Refn. C’était un genre de référence et on a voulu s’y tenir. Ce que vous décrivez, l’ambiance secrète et dangereuse, éclairée au néon, c’est une immense part de ce qui constitue les thrillers. Et on était conscient qu’on voulait garder une scène de jour à un moment très spécifique. C’était efficace dans l’histoire seulement si les autres plans étaient de nuit, pour qu’on puisse avoir l’impression d’enfin reprendre notre souffle.

N. C. P. : La nuit, c’est le moment où tout peut arriver. Dans un bon thriller, la nuit c’est l’instant où tout tourne au chaos puis revient à l’ordre quand le jour se lève. Son esthétique nocturne, ses couleurs vibrantes c’était notre façon d’emmener Jules dans cet « autre monde » avant d’essayer de le ramener en sûreté. 

La nuit ne nous permet pas de reconnaitre les lieux filmés, et les gros plans font qu’il est également difficile de se repérer dans l’espace. Pourquoi avez-vous souhaité éviter toute forme de contextualisation spatiale ?

S. H. F. : Cela fait aussi partie du thriller et que le narrateur est Jules, dans toute sa subjectivité. Quand il est sur scène, ce sont les seuls plans larges, il se sent libre, il est capable d’occuper l’espace. Mais après l’attaque le cadrage traduit ce changement psychologique chez lui. On ne voit que ce que Jules voit, on ne sait pas ce qui va arriver. L’idée était de garder constamment le spectateur en alerte.

L’idée du drag, ou du travestissement, n’intervient pas seulement dans les séquences sur scène : vos personnages se déguisent et jouent constamment à être quelqu’un d’autre.

N. C. P. : C’est le coeur du film, oui ! On voulait d’abord utiliser cette idée comme dispositif narratif : que le protagoniste soit méconnaissable aux yeux de son agresseur la deuxième fois qu’ils se rencontrent, étant donné qu’il est en drag la première fois. Mais à partir de ce point de l’intrigue, on a réalisé qu’il y avait une histoire plus vaste à raconter à propos du travestissement. On ne parle pas alors du travestissement seulement dans le sens de la performance, sur scène, mais dans la vie quotidienne. Dans le cas de Preston, c’est le corps musclé, les habits de sports. Tous ces codes qu’on utilise pour se représenter comme appartenant à tel ou tel groupe aux yeux des autres, ces personnas publiques qu’on créées pour gagner du pouvoir, pour être accepter.

S. H. F. : Devant les autres, tout le monde passe son temps à ce déguiser en quelqu’un qu’il n’est pas forcément. Que ce soit Jules ou Preston. Le film pose la question de savoir ce qu’il se passe quand on est privé de ce « costume », qu’est ce qu’il nous reste ?

Preston est effectivement un personnage qui cache son identité à ses amis par peur de leur réaction. On pense donc que lui qui connaît la peur liée à son homosexualité n’aurait pas envie de l’infliger à quelqu’un d’autre mais c’est pourtant ce qu’il fait. C’était important pour vous de montrer que ces peurs et ces agressions peuvent naître au sein même de la communauté gay ?

N. C. P. : Surtout au sein de la communauté ! Tout le monde a peur d’être dévoilé. 

S. H. F. : Preston se révèle au fur et à mesure du film. On apprend quelque chose d’un peu inattendu à chaque fois qu’on le voit une nouvelle fois. La façon dont ses amis le voient s’avère très différente comparée à celle dont Jules le perçoit. Tout ça revient à l’idée d’être exposé, frontalement, sans déguisement.

© Agile Films

Il est difficile d’imaginer d’autres acteurs de George Mackay ou Nathan Stewart-Jarrett dans ces rôles, comment s’est déroule le casting ?

S. H. F. : On ne les avait pas en tête dès le départ mais lorsqu’ils sont venus lire le scénario ensemble, c’était une révélation. Leur alchimie était incroyable. C’était presque troublant à quel point cela marchait bien !

N. C. P. : Quand on a fini d’écrire le scénario et qu’on l’a relu, on s’est dit qu’on avait peut-être crée un personnage qu’aucun acteur ne pourrait jouer. Donc on était très anxieux à l’idée de ne pas trouver quelqu’un qui serait capable d’interpréter les multiples alter-égo que Jules se crées du début à la fin. Mais quand on a rencontré Nathan on a été tellement soulagé de voir qu’il y arrivait parfaitement. 

Le film est très cru et le suspens assez intenable, est-ce quelqu’un chose que vous recherchez en tant que spectateurs ? Être malmenés par le film ? 

S. H. F. : Oui, c’est quelque chose qu’on aime énormément en tant que spectateurs et qu’on a voulu retranscrire dans le film, donc dès que quelqu’un nous dit qu’il était mal à l’aise, ça nous fait extrêmement plaisir ! (rires) On est tout à fait conscient que pas tout le monde va au cinéma pour ressentir ça mais nous c’est vraiment ce qu’on recherchait. Quand quelqu’un nous dit qu’il a retenu son souffle pendant tout le film, c’est le meilleur compliment qu’il puisse nous faire. 

N. C. P. : Nous n’avons pas fait d’école de cinéma mais plutôt l’école YouTube du cinéma, en quelque sorte. On a fait des recherches rigoureuses sur comment construire un thriller, l’idée était de garder le spectateur dans le noir et qu’il ressente un vrai boost d’adrénaline en regardant le film.

Le titre Femme correspond dans le milieu gay quelque chose d’un peu différent de sa définition en français, pourquoi l’avoir choisi ?

S. H. F. : Pour nous, c’est la terminologie utilisé dans le milieu gay pour décrire un homme qui se trouve du côté féminin sur le spectre du genre. Et étant donné que le film fait souvent référence au film noir mais au sein de la communauté queer, on peut aussi décrire Jules comme une sorte de femme fatale. En un sens, on a voulu inverser les rôles et les genres, donc le personnage de la femme fatale est non seulement un homme mais c’est aussi le protagoniste et non un personnage secondaire.

Propos recueillis par Chloé Caye le 20 février 2023 à Berlin, dans le cadre de la 73e édition de la Berlinale.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 31 rue Claude Bernard, 75005 Paris ; 0630953176

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