Notre corps

Au cinéma le 4 octobre 2023

© Dulac Distribution

L’une des premières séquences du film capte, de dos, capuche enfoncée sur la tête, le discours d’une adolescente tombée enceinte lors de son premier rapport. La médecin qui l’écoute, tente, avec délicatesse, d’amorcer les thèmes du consentement et de l’avortement. C’est un premier pas vers la prévention, l’éducation sexuelle. Dans le champ, il y a le corps prostré de la jeune fille face au visage tendre et compréhensif de la médecin. C’est un face à face qui devient progressivement dialogue : petit à petit, la cinéaste s’empare, par des mouvements d’aller-retour, du discours du personnel soignant, tout autant que de celui des patientes. 

Notre corps se construit par une succession de sujets (interruption volontaire de grossesse, endométriose, transition de genre, procréation médicalement assistée, accouchements, cancers, mastectomie…) qui trouvent tous naissance dans le service de gynécologie, et miroitent dans l’image récurrente du long couloir illuminé par le soleil tombant, là où les individus se croisent. Là où les chemins, les rôles et les parcours s’entrechoquent. Jusqu’à ce que la réalisatrice filme son propre reflet dans les grandes baies vitrées, qu’elle passe elle-même devant la caméra, et inonde de son parcours personnel, le reste du film. 

Claire Simon s’attarde sur les visages (masqués) qui laissent transparaître des émotions vivaces, celles qui proviennent du corps, de la douleur qui en émane et qui se répercute sur la psyché quand la souffrance physique devient charge mentale. Elle réalise des portraits, et les plans saisissent de très près les figures : elle s’empare du moindre détail, de la moindre expression – de peur, de joie, de tristesse. 

L’hôpital devient alors un vase communicant entre le monde de l’intérieur (l’organisme mais aussi les salles d’attente, le bureau du médecin, les consultation) et de l’extérieur (la peau, la carapace, la vie en dehors des murs blancs et aseptisés). Il y a des séquences d’une précision chirurgicale impressionnante, où la caméra se fait microscope, et sonde. Elle sonde l’opération : un écran géant vient agrandir à outrance l’intérieur de l’organisme, pour permettre aux médecins de réaliser les manipulations, au centimètre près. Elle sonde le laboratoire : les experts, munis de leurs microscopes, permettent à un spermatozoïde de rencontrer une ovule, et créent la vie, sous nos yeux ébahis. Dans les deux cas, les très gros plans viennent saisir quelque chose de l’ordre de l’incommensurable, semble adopter le point de vue des médecins, ou des outils. Ils embrassent cette vie si fragile, que l’on veut préserver (en congelant des ovocytes, en traitant les cancers par la chimiothérapie), mais qui parfois, court irrémédiablement vers la mort. 

En écho à la première scène, l’une des dernières se focalise sur le visage d’une patiente, alitée, amaigrie, affaiblie, quand la médecin qui la soigne est assise sur le lit, à ses côtés, dos au spectateur. Elle évoque le fait que le traitement qu’elle subit depuis de nombreuses semaines ne produit pas l’effet escompté. La vieille dame dit qu’elle se sent partir. Alors que le film commençait par une vie que l’on choisit d’ôter (un avortement), il se clôt sur une vie qui échappe aux pouvoirs de la médecine. Mais quoi qu’il en soit, ou qu’il en coute, c’est un corps qui parle : celui de la malade prêt à lâcher, ou celui de la jeune fille, qui le revendique.

C’est donc notre corps que trace Claire Simon, parce que c’est avant tout un corps collectif, celui de toutes ces patientes qui souffrent ensemble, et qui dressent le parcours d’une sororité puissante. 

Notre corps / De Claire Simon / France / 2h48 / Sortie le 4 octobre 2023.

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