Rencontre avec : Jim Cummings

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Jim Cummings à Deauville le 8 septembre 2018 ©AFP

Deux jours après avoir reçu le Grand Prix au Festival de Deauville, Jim Cummings nous a reçu pour parler de son premier film, le très réussi Thunder Road, actuellement en salles.

Vous êtes nouveau dans le monde du cinéma, pouvez-vous vous présenter ?

Je viens de Nouvelle-Orléans, en Louisiane. J’ai étudié le cinéma à Boston pendant 4 ans, puis je suis allé à San Francisco où j’étais assistant de production pour la société Industrial Light & Magic de George Lucas. J’ai travaillé sur Captain America, je m’ennuyais à apporter les cafés… J’ai fait cela quelques années, puis j’ai produit des films d’animation, des clips, des publicités, ce qui m’a appris à gérer une équipe. J’ai passé 6 ans effrayé à l’idée de faire quelque chose par moi-même, j’avais peur que ce soit mauvais. Je pensais que je n’étais pas assez doué pour faire quoi que ce soit. Ensuite, à Los Angeles, j’ai travaillé pour des vidéos comiques que je ne réalisais pas, et qui n’étaient pas très drôles. Je m’occupais des budgets et de l’organisation. On faisait trois courts-métrages par semaine. J’ai eu alors envie de faire quelque chose de drôle, j’avais l’ambition d’essayer par moi-même. On a donc tourné le court-métrage Thunder Road en une journée, en six heures, après avoir répété pendant deux mois. Sérieusement, je viens de nulle part. J’étais employé dans cette société, je n’ai pas de formation d’acteur, mais je voulais faire quelque chose qui puisse marquer les gens.

La première séquence de votre film est adaptée de ce court-métrage, Thunder Road. Comment vous est venue l’idée d’en faire un long-métrage ?

Un ami m’a parlé de funérailles auxquelles il a assisté, où quelqu’un a chanté une chanson. Et j’ai dit « oh mon dieu, c’est fou, à quoi est-ce que ça ressemblait ? Ils sont en deuil, ils pensent à autre chose, ils ne peuvent pas être très bons chanteurs. » Je lui ai demandé si quelqu’un avait filmé ça, et il m’a répondu « mais pourquoi quelqu’un aurait filmé ça ? ». C’est donc devenu une idée pour un monologue. Je n’étais ni acteur ni réalisateur mais j’ai tourné le court-métrage, et ça a marché, il a remporté un prix à Sundance en 2016. Pendant longtemps je me suis dit que je ne pouvais pas en faire un long-métrage parce que cette scène aurait été le climax, et la partie précédent cette scène aurait porté sur la mauvaise relation avec ma mère, puis elle meurt et les funérailles ont lieu. Je me suis dit que ça n’était pas très intéressant. Puis j’ai à nouveau regardé le court-métrage, plusieurs années après l’avoir fait, et il y a ce moment où je regarde ma fille qui s’éloigne de moi alors que je vais la chercher, et je me suis demandé pourquoi était-ce si important dans le court-métrage. C’est parce qu’on voit cet homme qui a perdu un parent devenir lui-même parent. C’est sur l’héritage, la transmission, sur le fait d’être au milieu de deux générations, et ça a profondément résonné en moi. Et si tout le film avait ça pour sujet ? J’ai eu l’idée d’ouvrir le film avec, et de le centrer sur la relation père-fille. La chanson Thunder Road de Springsteen a tout éclairé, elle te dit que si ta vie va mal alors prends ta voiture et pars, envoie tout balader. Ça m’a touché en plein coeur, elle est parfaite. J’ai commencé à écrire sur mon téléphone des idées de scènes pour mon film. Je suis allé dans le sous-sol d’un ami la nuit suivante, puis j’ai écrit pendant cinq nuits d’affilée en écoutant Bruce Springsteen et en buvant de la Budweiser. Et c’est devenu le scénario du long-métrage !

Les réactions ont été très différentes dans la salle au cours de la séquence d’ouverture : certains rient, d’autres sont bouleversés, amusés, choqués… Quelles émotions cherchez-vous à provoquer ?

Toutes celles-ci ! Je voulais créer l’effet des montagnes russes. Le spectateur doit être un détective, vous ne savez pas ce qui se passe, si c’est supposé être drôle ou triste. Et c’est les deux, à la fois tragique et comique. Je voulais faire comme les films de Pixar que j’adore : il y a tant d’émotions, de comique, de tragique, d’humanité. Je savais que je voulais ça, c’était important pour moi. Pour toutes les séquences, surtout la première, on a délibérément cherché à ce que le public ne sache pas si c’était un drame ou une comédie. On a tenu à ne pas filmer le public des funérailles, c’est un plan-séquence focalisé sur mon personnage, pour que le public ait à décider et à comprendre lui-même ce qui se passe, pour que les émotions ne soient pas dictées. C’est intéressant de mettre les spectateurs à cette place.

Le langage a un rôle important dans le film. Comment avez-vous travaillé votre écriture ? Y avait-il de l’improvisation ?

Tout était très écrit, il n’y avait pas d’improvisation. Je ne suis pas un acteur expérimenté, j’ai répété des milliers de fois la première séquence, pour trouver le bon rythme ! J’ai enregistré le scénario comme un livre audio, avec la musique et tous les sons, et je l’ai envoyé aux membres de l’équipe pour qu’ils puissent écouter le film autant de fois qu’ils le voulaient avant d’aller sur le plateau, et pour qu’ils comprennent ce que j’avais imaginé pour les scènes. On trouve l’authenticité du dialogue en parlant à voix haute des centaines de fois, il faut que ça marche de manière orale. Je suis toujours étonné quand quelqu’un me dit qu’il a écrit un scénario sans passer par là, il ne faut pas que ça sonne pas trop écrit.

Est-ce que le personnage que vous incarnez vous ressemble ?

Je n’espère pas ! Mes parents sont encore là, je n’ai pas d’enfants. Mais j’ai cinq soeurs qui ont toutes des enfants, j’ai une sorte de relation parentale avec mes nièces. Et je suis divorcé, depuis 2014. Je me suis inspiré de ces relations pour certaines scènes, mais ça s’arrête là. Le personnage est une version de moi beaucoup plus triste et maladroite. Il se rapproche aussi des garçons « cow-boys » avec lesquels je suis allé à l’école.

Beaucoup de personnes se découragent avant de parvenir à réaliser leur film de manière indépendante. Que leur diriez-vous ?

Tous les jours, je dis sur Twitter : « faîtes-le par vous-même, n’écoutez personne ! ». Personne ne m’a dit ça, je me suis senti seul pendant longtemps et j’ai été découragé jusqu’à ce que je vois d’autres personnes faire leurs films. Trey Edward Shults a fait un film qui était à la semaine de la critique {en 2015}, Krisha, et c’est incroyable. Il l’a fait pour 30000 dollars dans sa cour, avec sa famille. C’est un très beau portrait de l’Amérique. Je l’ai vu le faire, avec sa barbe et ses sandales, alors je me suis dit que si lui l’avait fait, je pouvais le faire aussi ! La possibilité de faire des films va être démocratisée. C’est lent mais c’est une renaissance. C’est facile, on peut faire un film avec Iphone et ses amis. On peut faire des films qui connectent les gens là où Marvel ne le peut pas. Je pense que c’est le futur.

Votre film va sortir dans d’autres pays ? 

Il va sortir au Japon, on est en discussion pour le Canada. Aux Etats-Unis, on est s’associé au festival de Sundance et on a obtenu une subvention qui nous permet de nous auto-distribuer. C’est une nouvelle manière de le faire. Aussi, j’ai demandé aux gens sur Twitter de citer leur cinéma de quartier préféré s’ils voulaient que le film sorte dans leur ville. Et 150 personnes l’ont fait ! J’ai contacté tous ces cinémas, et beaucoup d’entre eux ont voulu le film. C’est arrivé très vite. Il va sortir dans 25 cinéma à travers les Etats-Unis, en octobre. Il sort en France beaucoup plus tôt. Je vais aller dans tous les cinémas où il sera projeté, pour rencontrer les gens, c’est amusant.

Comment voyez-vous votre avenir ?

Je veux continuer à faire des petits films, que je peux faire avec mes amis et qui touchent le public, entre comédie et drame. On a eu des offres à Hollywood, ça fait plaisir, mais ce n’est pas intéressant. On ne sait jamais quand ça va se faire. Je pourrais passer trois ans de ma vie à dire que je vais faire un film au lieu de le faire moi-même. On avait utilisé un financement participatif sur Kickstarter pour ce film, et ça a très bien marché, je pense qu’on va refaire la même chose pour le prochain. Je veux continuer à faire des films indépendants, à avoir le contrôle de ce que je fais.

Le personnage principal de Thunder Road pourrait-il revenir ?

Pas maintenant, mais je réfléchis à l’idée d’héritage parental. J’ai des amis qui ont des difficultés à élever leurs enfants de 16, 17, 18 ans. Je pense à cela, le personnage aurait à élever sa fille, dans une autre ville. Mais je veux la même actrice, donc ça sera dans dix ans !

Propos recueillis par Victorien Daoût le 10 septembre 2018 à Paris, en collaboration avec Céline Perraud de Chronique Cinématographique.

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