
Changement de rythme pour Xavier Dolan. Alors qu’il nous avait habitué à une sortie en salle régulière depuis J’ai tué ma mère (2009), à raison d’un ou deux ans d’intervalle au plus tard, son nouveau long-métrage tardait à sortir. L’impatience de voir son premier film tourné en langue anglaise grandissait à mesure que sa date de sortie restait secrète. En février 2018, l’excitation a fait place à une certaine inquiétude lorsque le cinéaste a annoncé sa décision de couper toutes les scènes tournées par Jessica Chastain, pourtant annoncée dans l’un des rôles principaux. Un montage de quatre heures a dû être retravaillé, le scénario original considérablement atrophié. Ces éléments révélateurs d’une post-production compliquée ont-ils une incidence sur le film ?
Ma vie avec John F. Donovan fait preuve d’une grande ambition d’écriture, par l’enchâssement de plusieurs histoires à travers des époques différentes. Les deux premiers niveaux racontent la relation épistolaire de Rupert Turner, un garçon d’une douzaine d’années, avec l’acteur principal de sa série télé préférée, John F. Donovan. La correspondance dévoile en parallèle les parcours du petit garçon et de l’acteur, leurs destins trouvant des échos alors qu’ils ne se rencontrent jamais. Ces deux lignes narratives sont encadrées par un dialogue entre une journaliste et le même Rupert, désormais jeune adulte, alors qu’il vient de rendre public sa correspondance avec John F. Donovan. La reporter commence par prendre de haut le jeune homme, peu ravie à l’idée de l’interviewer. Au fil de l’échange, elle s’intéresse à son récit et reconsidère ses préjugés critiques. Cette confrontation, de la réticence à la confidence, installe une intimité qui convie aussi le spectateur.
Si l’ampleur romanesque du film se revendique de la flamboyance formelle de certaines œuvres de Paul Thomas Anderson (qui est cité dans les remerciements), elle est à l’origine d’une compression du temps qui neutralise trop souvent les émotions. Les béances laissées par la remodelage du scénario se ressentent fortement, et le montage cadenasse beaucoup la mise en scène dolanienne. Cette limite est flagrante lors des séquences musicales, souvent mémorables chez le cinéaste, qui frôlent ici l’auto-caricature dans la répétition mécanique de leurs effets.
C’est davantage dans la réflexion sur le chemin individuel que ce film très personnel – mais lequel du cinéaste ne l’est pas ? – se montre intéressant, plutôt que dans la charge portée contre le star-system hollywoodien – le personnage de l’agent de Donovan incarné par Kathy Bates est peu développé. John F. Donovan, lui, est un héros au destin tragique. Le film commence par l’annonce de sa mort avant que ne soit raconté son parcours éprouvant, celui d’un homme qui lutte contre la désillusion et la solitude, avec l’affection comme secours possible. Cette idée est redoublée par le motif de la relation épistolaire, qui offre en ce sens une lecture originale de sa trajectoire, pour dire la nécessité de se raconter par le truchement d’un moyen d’expression personnel.
On retrouve d’autres sujets de prédilection de Xavier Dolan : la relation mère-fils, l’homosexualité, thèmes chers au cinéaste qui passent ici par un nouveau prisme, à la base de la construction du film, celui de l’admiration et de la notoriété. La célébrité est le plus souvent montrée comme un fardeau, dont le revers positif serait les enseignements qu’on en tire et l’admiration qu’elle suscite. L’une des scènes les plus enthousiasmantes montre le jeune Rupert Turner courir devant sa télévision en rentrant de l’école pour ne pas rater une seconde de la série à laquelle il voue un culte. Natalie Portman, dans le rôle de sa mère, pose sur lui un regard bouleversant. Moment fugace dans lequel se lit une superbe complicité distante. Une fulgurance, de celles qui font aimer le cinéma de Xavier Dolan.
Ma vie avec John F. Donovan / De Xavier Dolan / Avec Kit Harington, Jacob Tremblay, Susan Sarandon, Natalie Portman, Kathy Bates / Canada / 2h03 / Sortie le 13 mars 2019.
Je sais que la critique est globalement assez mitigée envers ce film mais moi j’ai beaucoup aimé. Il m’a bien plus plu que Juste la fin du monde ou Mommy, parce que moins violent, plus accessible, plus humain et plus vivant. La construction et la manière de filmer m’ont charmée également… 😉
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