
Un soir d’hiver, Mildred Beragon attire chez elle l’entreprenant Wally Faye. Celui-ci y tombe sur le cadavre de Bert Beragon, le mari de Mildred. Mais quand un peu plus tard cette dernière est convoquée au commissariat, elle y apprend que ni Wally, qu’elle semble avoir voulu faire accuser, ni elle, dont le comportement est après tout bien mystérieux, ne sont inculpés : c’est son ancien mari, Bert Pierce, qui s’accuse du crime. Mildred s’insurge, et décide de passer aux aveux – des aveux qui la ramènent loin en arrière.
Un homme pris au piège, un crime mystérieux, un long flash-back qui commence : Le Roman de Mildred Pierce est aujourd’hui devenu un classique du film noir, et ses premières séquences ne manquent pas de plonger immédiatement le spectateur dans l’ambiance caractéristique du genre. Le film est d’ailleurs une adaptation d’un roman de James M. Cain, dont deux autres ouvrages ont inspiré des œuvres culte du noir, Le Facteur sonne toujours deux fois, et surtout Assurance sur la mort, de Billy Wilder. En fait, c’est le succès de ce dernier qui aurait donné aux producteurs l’idée de s’inspirer du nouveau style développé par le futur réalisateur de Boulevard du crépuscule. En résultent un scénario plus sombre, construit en flash-back autour d’un meurtre, et une mise en scène expressionniste, avec un noir et blanc travaillé en ombres et en lumières – notamment dans la superbe séquence initiale où le pauvre Wally se trouve pris au piège de la maison et de son cadavre. Une évolution intéressante : le roman initial tenait en réalité plus du drame psychologique que du thriller.
Pourtant, Le Roman de Mildred Pierce, en démêlant progressivement les fils de l’intrigue complexe et opaque exposée en début de film, tient tout autant de l’analyse de mœurs et de psyché de son personnage que du récit policier, si ce n’est plus. De sa rupture avec son premier mari à son mariage avec son second, il existe une constante : Mildred a toujours œuvré, avec une détermination sans faille, pour le bonheur de sa fille Veda, enfant pourrie-gâtée éternellement insatisfaite pour laquelle sa mère se saigne aux quatre veines – en vain. Tout le film donne en fait une définition tragique de l’amour inconditionnel que peut avoir une mère pour sa fille. Et il fallait bien le monstre sacré qu’est devenu Joan Crawford, pour nous faire supporter les coups portés au cœur de ce personnage à la dignité perpétuellement blessée et au courage apparemment infini.
Quant aux moyens déployés par Mildred pour tenter de satisfaire la soif de luxe insatiable de sa fille, ils sont autant d’occasions de découvrir de nouveaux obstacles. Le mépris de classe, de la part de la pseudo aristocratie américaine qui se complaît dans sa paresse et son parasitisme (Bert Beragon) ; l’emprise des hommes, omniprésents et aussi insistants en affaires qu’en amour, et la difficulté d’en être indépendante (Wally Faye) ; l’animosité envers une femme qui travaille, y compris, ou plutôt surtout, de la part de sa propre fille. C’est là le paradoxe, ce sont précisément les efforts qu’elle fait qui attirent de la haine à Mildred. La métaphore est filée tout au long du film : elle aura beau avoir acquis son argent à la sueur de son front, toute fulgurante qu’ait été son ascension de serveuse à dirigeante d’une chaîne de restaurant, l’odeur de graillon lui collera toujours à la peau. Mildred a toutes les qualités de l’homme d’affaire (ingéniosité, détermination, ténacité…), sauf une. La face cachée du rêve américain, c’est que le mythe du self made man n’existe pas au féminin.
Le Roman de Mildred Pierce / De Michael Curtiz / Avec Joan Crawford, Ann Blyth, Jack Carson, Zachary Scott, Eve Arden / États-Unis / 1h51 / 1945 / Disponible sur UniversCiné et La Cinetek.
Belle et tragique conclusion !
J’avais beaucoup aimé le roman. Sa transposition en Film Noir par Curtis aussi. Mais je conseille aussi chaudement la mini-série que Todd Haynes réalisa pour HBO.
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