
Esty, jeune femme de 19 ans, décide de quitter sa communauté hassidique de Williamsburg, Brooklyn, pour rejoindre Berlin où vit sa mère, qui a fui comme elle des années plus tôt. Là-bas, elle découvre une vie nouvelle, loin des enseignements qu’on lui a transmis. Se rendant compte de sa disparition, le rabbin charge le mari d’Esty et son cousin à se rendre dans la capitale allemande pour la rappeler à ses obligations.
Le sujet de cette mini-série allemande rappelle un long-métrage qui traitait du même thème. Désobéissance (2017) de Sebastián Lelio racontait, à Londres, une romance impossible entre deux femmes, jouées par Rachel McAdams et Rachel Weisz, dont l’une était restée vivre dans la communauté tandis que l’autre revenait pour l’enterrement de son père. Outre leur propos commun, soit la difficile émancipation pour une femme de la société juive ultra-orthodoxe, ces deux fictions observent un schéma inverse. Si dans Désobéissance il s’agissait d’un retour dans la communauté, il y a dans Unorthodox un départ de celle-ci. Mais dans les deux cas, un élément doit intervenir de l’extérieur ou mener vers l’ailleurs pour mieux détailler ce qui la ronge de l’intérieur, décrivant une société privant de liberté tous ses membres, surtout les femmes destinées à produire des enfants, et pas grand chose d’autre.
Le parcours d’Esty met en parallèle deux lieux opposés : Berlin, où elle s’enfuit et découvre une vie qu’elle n’avait encore jamais aperçue, et Williamsburg, où chaque étape est vécue comme une initiation à des coutumes ancestrales extrêmement précises auxquelles il ne faut pas déroger. Cours de sexualité, purification avant de dormir avec le mari, mariage, des moments qui décryptent avec parcimonie les rouages de la communauté hassidique, relatant l’impuissance d’Esty à qui on impose tout sans jamais lui laisser la possibilité de vivre autre chose. Un univers fait de passages rituels culminant à une séquence où on lui tond les cheveux, forme de dénuement ultime et d’invisibilisation de sa singularité. Pourtant, Esty avait prévu son mari en lui disant « je suis différente », phrase qui s’applique d’ailleurs à la comédienne Shira Haas, qui prête ses traits et sa sensibilité à Esty, et dont les multiples variations de visage sont rendus d’autant plus flagrant par l’alternance des époques.
L’intérêt d’Unorthodox ne serait que documentaire si la série se résumait à une suite d’étapes détaillées avec précision. Si les séquences américaines intéressent car elles instruisent, les séquences allemandes sont d’abord des instants de respiration. Là où la vie d’Esty suivait un programme à New-York, son parcours berlinois est fait d’errances et de rencontres. Elle passe d’un régime planifié à un mode de vie hasardeux, et la mise en scène s’en fait le révélateur. Berlin vient accentuer tout ce dont Esty a été privée auparavant : l’amitié, la liberté de déplacement, le contact avec la culture, l’amour maternel.
Dans la série, ce sont les femmes qui remettent en question l’impossibilité de s’épanouir au sein de la communauté. Elles ont ce pouvoir, malgré le poids du sacrifice que cela représente et les dangers qu’elles encourent, de dire non et de s’enfuir, prise de conscience viscérale qui n’est pas accordée aux hommes. À côté d’Esty, son mari n’est cependant pas l’antagoniste masculin, l’ombre machiste qui planerait sans cesse au-dessus de la vie de sa femme. Berlin agit aussi chez lui comme un espace de révélations : découverte d’internet sur le portable de son cousin, de la télévision dans une chambre d’hôtel… Mais jusqu’au bout, il lui sera impossible de concevoir une autre réalité que la sienne.
Menacée par un retour aux Etats-Unis parce qu’elle est recherchée par son mari et son cousin, la jeune femme s’ouvre quant à elle à des nouveaux codes. Paradoxalement, son apparence l’inclut. Sa coupe cheveux courts obligatoire dans la communauté d’où elle vient lui donne un air à la mode à Berlin. Son regard, surtout, fait voir le monde occidental autrement, car la morale qui lui a été enseignée tend à le montrer comme un univers étranger. Ce regard se retrouve confronté à une nouvelle génération berlinoise qui, tournée vers l’avenir, le lui fait savoir de manière abrupte. Elle n’est pas encore partie intégrante de cette génération, mais elle porte malgré tout en elle l’espoir d’une fuite en avant.
Unorthodox / De Maria Schrader / Avec Shira Haas, Amit Rahav, Jeff Wilbursch, Alex Reid / Allemagne / 4 x 53mn / 2020.
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