La Leçon de piano

Rétrospective Palme d’or

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Holly Hunter et Anna Paquin ©DR

Au XIXe siècle, une jeune femme écossaise, Ada MacGrath (Holly Hunter), est envoyée par son père en Nouvelle-Zélande pour épouser un homme qu’elle n’a jamais rencontré (Sam Neill), responsable d’une colonie. Elle débarque sur une plage battue par des vents froids, accompagnée de sa fille de dix ans, Flora (Anna Paquin), qui est aussi son interprète. Ada est muette.

Elle ne parle pas, mais elle fait comprendre bien vite à son nouvel époux que le seul bien auquel elle tient ne doit pas rester sur la plage, même s’il est encombrant : son piano, l’instrument par lequel elle exprime les sentiments que sa voix ne peut pas prononcer. Peu enclin à comprendre la nécessité de la musique dans la vie d’Ada, il ne fait rien pour ramener l’objet, qui reste seul sur le sable, dans sa coque en bois à moitié fêlée. La rupture est déjà causée entre le mari et la femme par le manque de l’instrument dans la maison. Faille dont profite Baines (Harvey Keitel), un voisin, qui décide de récupérer le piano en l’échangeant contre un morceau de terre. Une façon d’attirer Ada chez lui, car la belle et secrète jeune femme viendra lui donner des leçons.

On reconnaît les grandes œuvres romantiques à la singularité avec laquelle elles traitent leur sujet. L’éveil sensuel trouve d’abord ici sa matière dans la nature environnante, l’humidité de la forêt. Ce paysage forge l’altérité de Baines, construit sur un déséquilibre identitaire, ni tout à fait colon ni tout à fait maori, dont il arbore pourtant un tatouage traditionnel sur le visage. Mais il est surtout l’amant, et la passion brûle avec Ada malgré la sècheresse de leurs premières étreintes, motivées par un marchandage dont ils sont tous les deux conscients.

Il y a des corps qui s’attirent et s’affrontent, mais aussi cette irrémédiable absence de communication verbale à cause du mutisme d’Ada, incarnée avec grande subtilité par Holly Hunter, dans le rôle de sa vie. Ce trait physique agit comme une façon de revendiquer son indépendance, de refuser de se donner entièrement, sans tout maîtriser pour autant. Si Ada verrouille ses émotions, celles-ci jaillissent grâce à la musique, en elle comme en nous. Quand elle retrouve son piano abandonné sur la plage, tout devient légèreté et les larmes coulent d’elles-mêmes. Sa fille danse à côté, insouciante, tandis qu’elle sourit, heureuse. La beauté de cette scène vient aussi du morceau qu’elle joue, composé par le génial Michael Nyman qui sublime ce moment de retrouvailles et de libération. Et puis soudain le temps change, la nuit est tombée, on devine qu’elle a joué des heures sans s’arrêter. Magie de l’ellipse, bonheur de cinéma.

Jane Campion, seule réalisatrice à avoir remporté la Palme d’or pour ce film (en 1993, jury Louis Malle), est sans doute la grande cinéaste du portrait de femmes, mais elle parvient aussi à filmer la musique comme rarement elle l’a été. Le piano est non seulement l’objet médiateur du désir entre les deux amants, il représente aussi une forme d’accomplissement en soi. Ada fait corps avec son instrument jusque dans un acte manqué terminal qui lie en un mouvement l’attachement et l’envol, celui-là même qui nous a pris pour ne plus nous lâcher.

La Leçon de piano / De Jane Campion / Avec Holly Hunter, Harvey Keitel, Anna Paquin, Sam Neill / Nouvelle-Zélande – Australie – France / 2h01 / 1993.

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