
Comment expliquer la colère déclenchée sur les réseaux sociaux par la promotion américaine du film Mignonnes, de Maïmouna Doucouré ? Sorti en salles ce mercredi 19 août en France, et prévu pour septembre sur Netflix aux États-Unis, celui-ci est pourtant presque unanimement salué par la critique hexagonale. Mais le visuel choisi pour sa promotion outre-Atlantique a mis le feu aux poudres : les poses suggestives des héroïnes, âgées de onze ans, ont été la source d’un terrible malentendu qui a entraîné de nombreux appels au boycott de Netflix, accusé de faire la promotion d’un contenu pédophile et sommé de supprimer le film de la plateforme.
Terrible malentendu, car le propos du film n’est évidemment pas de faire de ses personnages des objets sexuels, mais au contraire d’analyser le phénomène bien réel de cette érotisation involontaire de jeunes pré-adolescentes, et d’en montrer les causes et les conséquences. Amy, 11 ans, issue d’une famille musulmane où la religion occupe une place prépondérante, trouve une forme de liberté en rejoignant un groupe de filles se préparant à un concours de danse. Sa trajectoire est celle du passage d’un extrême à l’autre. D’abord, l’inculture sexuelle totale : lorsqu’elle a ses règles pour la première fois, Amy ne sait pas ce qui lui arrive ; lorsqu’elle et ses copines ramassent un préservatif, elles le prennent d’abord pour un ballon, avant d’identifier (très vaguement) l’objet et de hurler qu’il va leur donner le sida parce qu’elles l’ont touché… Puis, comme conséquence, l’hypersexualisation inconsciente : en imitant d’autres filles plus âgées ou leurs idoles de clips, elles adoptent des poses extrêmement suggestives dans leurs chorégraphies, sans avoir conscience de ce qu’elles signifient. Et le film en montre bien les implications. Les garçons du même âge identifient immédiatement ces poses pour ce qu’elles sont : la libération du corps se fait au prix de la honte et des insultes (entre autres).
Impossible donc de voir une apologie de la pédophilie dans ce film. La quasi-totalité de ses détracteurs, français ou américains, ne l’ont évidemment pas vu, puisqu’aucune ambiguïté n’est permise dans son interprétation – absence d’ambiguïté qui n’est cependant pas une absence de subtilité. Jamais les protagonistes ne sont filmées comme de simples corps : non seulement leur portrait psychologique est tout à fait complet, mais la caméra parvient justement à montrer leur érotisation sans les érotiser ! Et c’est là ce qui fait toute la valeur de Mignonnes.
Il semblerait pourtant que certaines personnes ayant vraiment vu le film aient été choquées. Le spectateur ou la spectatrice n’ayant pas l’habitude de prendre du recul sur ce qu’il ou elle voit aura effectivement peut-être été déstabilisé(e), et il est sain de toujours interroger les films. Mais il est triste de constater qu’en se rendant sur Internet, au lieu de voir le film expliqué, on risquera de tomber sur une pétition invitant au boycott, ou sur des centaines de tweets abondant dans son sens, celui d’une réaction viscérale instantanée. Si les réseaux sociaux, vecteurs d’indignation populaire, ont parfois du bon en ce qu’ils permettent d’exprimer une saine colère, force est de constater que la rapidité du phénomène se fait parfois de façon grégaire et au détriment de toute réflexion.
On ne pourra donc qu’inciter à aller voir Mignonnes, non seulement parce qu’il le mérite, mais aussi parce qu’il semble qu’il en ait, hélas, besoin.
Mignonnes / De Maïmouna Doucouré / Avec Fathia Youssouf, Medina El Aidi, Esther Gohourou, Ilanah Cami-Goursolas / France / 1h35 / Sortie le 19 août 2020.
Oui j’ai lu un article là-dessus, cette confusion est folle ; bon l’affiche US est peut-être un peu maladroite, trop « sérieuse » et dénuée d’enfance.
Le film me tente bien en tout cas.
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Merci infiniment pour cet article qui permet de rappeler à quel point il est important d’aller voir les objets de polémiques par soi-même ainsi que de prendre un recul nécessaire à la réflexion !
Continuez d’écrire, c’est pertinent ! et aujourd’hui plus que jamais, nécessaire.
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J’en sors, quelle patate, quelle finesse !
Un film éclatant et subtil, des thématiques intelligemment amenées, des actrices extra (à suivre !!), un rythme super bien tenu… et en plus on rigole : ´ ormal que ça déplaise aux USA et en Turquie ! Allez le voir !!
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