
Des nouvelles de Guy Marchand ! L’inénarrable acteur et chanteur sort ce mois-ci son quatorzième album, Né à Belleville, dans lequel il interprète avec sa belle voix profonde des titres originaux, accompagné par un groupe de jazz. L’occasion de lui passer un coup de téléphone pour interroger son rapport au passé et au présent, lui qui a laissé une trace indélébile dans le paysage cinématographique (Loulou de Maurice Pialat, Garde à vue de Claude Miller), télévisuel (8 saisons de Nestor Burma) et musical (depuis la sortie de La Passionata en 1965 avant le tube Destinée en 1982). Conversation en toute sincérité.
A quelle envie répond l’enregistrement de votre nouvel album ?
À l’envie de faire de la musique, à un moment de ma vie. Et pour ne pas toujours rester sans rien faire ! La musique a toujours été une envie. Ce disque est né d’une rencontre avec le musicien Ludovic Beier, un virtuose, qui aimait bien ma voix grave et m’a demandé si j’étais disponible. Alors j’ai sauté sur l’occasion.
C’est un album très autobiographique, que vous avez appelé Né à Belleville… À quoi ressemblait le Paris dans lequel vous avez grandi ?
La rue de Belleville d’aujourd’hui ne ressemble pas tout à fait à celle de mon enfance, mais elle n’a pas tellement changé non plus. Le cinéma a disparu, et le théâtre de Belleville a été remplacé par un supermarché, un vrai scandale. Mais la rue est toujours là, elle monte tout le temps jusqu’à Télégraphe, tout en haut. J’y ai mes premiers comme mes derniers souvenirs.
C’est là-bas que votre rencontre avec la musique a eu lieu ?
Lorsque j’avais cinq ou six ans, je voulais diriger un grand orchestre classique. Je le faisais déjà avec ma classe, ce qui amusait beaucoup mes parents. De nombreux jazzmen venaient se faire réparer leurs bagnoles dans l’atelier de mon père. Il était fou de leur musique et m’emmenait souvent à leurs répétitions. Ce sont eux qui m’ont donné envie de chanter. Puis j’ai commencé la clarinette, avant de me mettre au saxophone ténor qui coûtait d’abord trop cher.
Votre personnalité de crooner s’est-elle imposée naturellement ?
Ma personnalité de crooner… Oui, bien sûr, j’admirais Dean Martin. J’avais été aussi très marqué par le premier film parlant, Le Chanteur de jazz, que mon père m’avait emmené voir quand j’étais tout petit. Si j’avais su qu’un jour Jean-Christophe Averty allait me proposer le rôle d’Al Jolson, et qu’on aurait un Emmy Award à Hollywood !
Vous n’aimez pas le mot crooner ?
Si, pourquoi pas, mais je n’aime pas les américanismes. Je suis vraiment de Belleville, vous savez ! À l’Amérique, j’ai seulement piqué de la musique, de l’essence et des pneus.
Quand est-ce que le cinéma est entré dans votre vie ?
Au départ, mes disques avaient du mal à marcher, à part La Passionata qui était un succès. L’émission « Salut les copains » sur Europe n°1 n’était pas très gentille avec moi… Et tout à coup, lorsque j’ai commencé à jouer dans des films, les choses ont changé. Heureusement que le cinéma est entré dans ma vie, il m’a sauvé.
Qu’aimez-vous le plus dans le métier d’acteur ?
Faire des rencontres, se retrouver aux côtés de Michel Serrault ou de Lino Ventura. Mais ça n’arrive pas tous les jours. Si j’ai fait mon premier film Boulevard du rhum (Robert Enrico, 1971), c’est parce que j’avais pratiqué la boxe, un grand sujet de conversation avec Lino Ventura. La production voulait un acteur espagnol ou américain, mais il a parlé de moi quand je lui ai dit que je serais intéressé pour le faire. Mon premier film important.
Qui sont les réalisateurs avec qui vous avez le plus aimé travailler ?
Tous. Ce n’est pas difficile, j’ai travaillé avec les plus grands ! Il faut croire que je leur ai plu. Maurice Pialat, François Truffaut, Costa-Gavras…
Est-ce que vous approchez de la même manière un film d’auteur et un film commercial ?
Vous allez être déçu, je n’ai rien cherché à construire. Je fais des films quand je suis à découvert au Crédit Agricole !
On croirait que vous vous êtes surtout laissé porter par le hasard…
Oui, le hasard. La vie est un grand océan. J’ai fait du surf à une époque, lorsque j’habitais près de Bordeaux, à Saint-Jean-de-Blaignac. La mer a été une belle leçon de vie. Quand vous êtes sur votre planche, il faut nager au loin. Les vagues passent puis il arrive un moment où ça devient presque plat, et c’est là qu’on va prendre sa vague. Si la vague vous fout en l’air, il est inutile de nager parce qu’elle vous brise, elle est trop forte. Alors, il faut se laisser aller comme un bouchon dans l’eau. Quand elle est passée, on retrouve le calme et c’est là qu’il faut nager jusqu’à ce que ça redevienne trop fort. Pour moi, la vie est ainsi. Elle me brise quand elle est trop dure, puis je laisse faire et quand c’est passé, je nage et je fais tout ce que je peux, un disque, un film. Puis la vie vous brise à nouveau, on ne bouge plus, on regarde le ciel et on attend.
Cela vous procure un sentiment de liberté ?
Je crois que c’est ce que j’ai trouvé dans cette façon de vivre. Ce n’est pas forcément la solution pour réussir ; c’est la solution pour vivre.
Vous ne pensez plus aux films que vous avez fait ?
J’aime bien les montrer à la fiancée de mon fils, mais c’est très rare. Vous savez, si vous vieillissez et que votre nombril est un peu trop gros, vous allez souffrir, alors il vaut mieux s’oublier.
Comment faire pour s’oublier ?
Ce n’est pas facile, surtout dans notre métier de mégalo. Quand on s’oublie, on oublie l’angoisse. L’angoisse du chômage, l’angoisse d’être à découvert, l’angoisse d’être abandonné par une femme qu’on aime. J’aime beaucoup écrire des livres, j’en suis à mon cinquième. Ma femme trouvait que j’avais le sens de la formule dans mes chansons et m’a suggéré d’écrire. Etant donné qu’il n’y a rien de pire qu’un livre de souvenirs de chanteur ou d’acteur, j’ai écrit une fausse autobiographie, Le Guignol des Buttes-Chaumont (2007), inspiré par mon enfance et des scènes terribles vues sous l’Occupation. Au risque de paraître prétentieux, j’ai même reçu des prix littéraires, et ça n’a pas plu à tout le monde. Un chanteur de charme qui reçoit un prix littéraire, vous ne vous rendez pas compte ce que ça peut emmerder les gens ! Je suis content de vieillir, parce qu’on ne se trompe plus sur moi.
On s’est beaucoup trompé sur vous ?
Ohlala, tant de fois. On a cru que j’étais un vieux réactionnaire parce que j’étais ancien militaire et que j’avais fait la légion. Mais la droite me dégoûte et la gauche m’ennuie. Enfin, tout ça n’est pas très grave.
Qu’est-ce qui vous apporte de la joie ?
Le présent, mon fils, ma fille, la femme que j’aime. Les femmes en général. Je ne suis pas un homme à femme, mais en vieillissant je me suis rendu compte que tout ce qui est féminin est intéressant, et vice versa. Quand on est jeune on est con, on tire les cheveux des filles, et peu à peu on les met sur un piédestal, ce sont des saintes.
Avez-vous des projets ?
Oui, parce que le vintage est à la mode ! Je vais bientôt tourner un film où je jouerai le père de… Merde, comment il s’appelle ? J’oublie le nom des gens. J’ai trouvé un moyen pour ne pas être ridicule : quand j’oublie le nom d’un chanteur et que je suis en train de le présenter, je dis « Frank Sinatra », le type ne sera jamais vexé. Pour les actrices, je dis « Ava Gardner ». C’est comme les grades dans l’armée, si vous avez oublié celui d’un supérieur, vous lui dîtes « général » et il ne vous en voudra pas. Ça peut être utile dans votre métier, si vous oubliez le nom d’un connard que vous avez interviewé.
Propos recueillis par Victorien Daoût le 23 novembre 2020, par téléphone.
À ÉCOUTER : Né à Belleville, de Guy Marchand, paru le 13 novembre 2020 chez ARS Longa Vita Brevis.
J’aime beaucoup. Quel humour ! Il a l’air vraiment sympa.
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