Nomadland

Au cinéma le 9 juin 2021

Frances McDormand. ©Searchlight Pictures

La terre nomade du titre s’appelle les Etats-Unis d’Amérique. Elle est foulée par les pionniers du XXIe siècle, des sexagénaires qui subissent les contraintes économiques du nouveau monde industriel et adaptent leur mode de vie en conséquence. Fern (Frances McDormand) est l’une d’entre eux.

L’idéalisme est rapidement déçu : Fern n’est pas nomade par choix délibéré. Elle est veuve depuis peu et la mine qui l’employait dans le Nevada a fermé. Elle n’a pas assez d’argent pour s’acheter une maison, et ne veut pas s’établir dans un endroit précis. Alors elle vit dans un van aménagé, roule, part, et refuse l’hospitalité qu’on lui offre, de la part de ses proches ou d’inconnus bienveillants. Mais, comme le dit-elle, être sans maison, ce n’est pas être sans abri. Le refus de vivre chez ceux qui lui proposent un toit ne doit pas sonner comme un repli contre les autres, au contraire, mais comme une volonté farouche de poursuivre son propre chemin. Faire son deuil à sa façon, trouver une parade pour moins subir. Alors qu’elle ne pouvait plus habiter les lieux remplis de vécu et passer outre la tristesse, elle trouve enfin son moyen d’habiter le monde.

Cela dit, le superbe territoire à travers lequel Fern voyage n’est pas uniquement un appel vibrant et sans borne de la liberté. Il accueille aussi son ordre inverse : le milieu engloutissant des multinationales, représenté par l’entrepôt gigantesque d’Amazon où Fern travaille par intermittence, source à laquelle elle revient pour subvenir à ses besoins. L’Ouest américain a changé, mais Chloé Zhao nous montre qu’il reste malgré tout une page qui rend encore possible la réinvention. Pour son troisième film (après Les Chansons que mes frères m’ont apprises en 2013 et The Rider en 2015), la cinéaste opère une harmonie entre le geste social de Ken Loach et la sublimation des grands espaces proche de Terrence Malick ; la  rencontre entre une conscience politique aiguisée et un cadrage virtuose en plan large, qui englobe bien plus que le cercle circonstancié du monde économique et social mis en récit.

Des rencontres, il en est question dans le parcours de Fern. À travers une galerie de personnages – joués pour la plupart par des non professionnels – s’égrène une succession d’histoires, de récits intimes, de moments tristes ou gais, qu’elle reçoit, et nous aussi. Les parcours se croisent, se complètent, nul besoin de commentaires superflus, la matière apparaît brute et le langage celui de l’émotion, de l’écoute, de l’écho. Ainsi une scène d’au revoir entre l’héroïne et un convoi de nomades n’est en rien larmoyante ; le visage de Frances McDormand suffit à raconter la profondeur des souvenirs et, en même temps, à se projeter avec confiance.

Nomadland / De Chloé Zhao / Avec Frances McDormand, David Strathaim, Gay DeForest / Etats-Unis / 1h48 / Sortie le 9 juin 2021.

3 réflexions sur « Nomadland »

  1. Sublime article sur ce film qui nous invite, comme tu l’as très bien écrit, à « habiter le monde ». Il existe bien des manières de le faire, ainsi Chloé Zhao suit-elle celle de ces nomade modernes, errants de la conjoncture ou vagabonds volontaires, peu importe finalement leur motivation. Chacun creuse son propre sillon (« got my own row left to hoe, just another line in the field of time » chantait Neil Young dans « Thrashers »), et en cela la geste de Chloé Zhao n’est pas tant proche de Ken Loach que de celle de Kelly Reichardt ou de Jeff Nichols (pour l’approche rurale rappelant Malick) qui proposent des films plus neutres de tout jugement moral ou politique.
    Le talent de la mise en scène et celui plus impressionnant encore de Frances McDormand font le reste. Manque peut-être un peu de liant dans le scénario à mon avis.

    Aimé par 1 personne

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