
Brian vit avec sa famille au cœur des Appalaches. Géographiquement isolés, socialement marginalisés, ils sont les derniers hillbillies. Le documentaire de Diane-Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe part à leur rencontre.
Le « Hillbilly » est une figure connue des cinéphiles : cet équivalent montagnard du redneck des plaines, supposément aussi laid et violent que consanguin, est devenu un être quasi mythologique. Dans Délivrance de John Boorman, pour ne citer qu’un film, ce sont bien des « Hillbillies » qui s’en prennent aux citadins venus s’aventurer sur leur territoire pour un weekend en canoé. Une image dont Brian, protagoniste de The Last Hillbilly, a bien conscience : dès le début du film, il dresse face caméra son autoportrait ironique, énumérant les clichés dont lui et les siens sont affublés dans l’imaginaire collectif.
Passée cette scène, The Last Hillbilly ne contient presque plus d’entretien avec ses protagonistes. La méthode des réalisateurs est autre : filmer directement le réel, en l’augmentant par tous les moyens habituellement réservés à la fiction pour atteindre la vérité qu’ils recherchent. Une musique lancinante et omniprésente, comme si planait sur les montagnes la complainte de ses habitants. Une image souvent désaturée, plongeant les paysages dans une atmosphère de fin du monde. Parmi leurs nombreuses influences, les réalisateurs évoquent d’ailleurs Cormac McCarthy, auteur du célèbre roman post-apocalyptique La Route (2006), ou bien William Faulkner, dont l’œuvre se déroule toujours dans un vieux Sud en déréliction. Que ces influences soient littéraires n’est pas anodin ; le texte revêt dans le film une grande importance. Car Brian est aussi poète, et ses puissantes récitations accompagnent le spectateur du début à la fin du film – une poésie en prose élégiaque, parfois presque hurlée, particulièrement saisissante.
The Last Hillbilly n’est parfois pas sans évoquer Braguino de Clément Cogitore, sorti en 2019 ; suivant une famille vivant dans une région reculée de la Sibérie, le film donnait également l’étrange impression de plonger dans un autre espace-temps, au cœur d’une nature sauvage aux paysages somptueux. Même si Brian et sa famille sont moins isolés, la façon de filmer notamment les enfants et leur rapport à ces endroits si atypiques pour le spectateur citadin européen était en partie similaire. La comparaison cependant permet de prendre conscience de la singularité de The Last Hillbilly, à savoir l’intimité bien plus forte qu’ont les réalisateurs avec leur sujet. Ceux-ci adoptent un point de vue moins extérieur, dont on sent qu’il est issu d’une prise de contact longue, d’une relation sincère avec Brian et sa famille. Une intimité sans voyeurisme que nous invitent à partager les réalisateurs de ce film dont on craint qu’il ne peine à trouver sa place en cette période si concurrentielle, mais dont l’expérience mérite d’être vécue.
The Last Hillbilly / De Thomas Jenkoe et Diane-Sara Bouzgarrou / Avec Brian Ritchie / France / 1h20 / Sortie le 9 juin 2021