
Pleasure suit le parcours d’une jeune suédoise – nom de scène : Bella Cherry – se rendant à Los Angeles dans le but de devenir la nouvelle star du X.
Le premier film de Ninja Tyberg appose une esthétique trash à un récit, finalement, pas si trash. En effet, la justesse du film réside dans son rapport au hors-champ : la réalisatrice oppose les échelles de plan pour affirmer une distinction nette entre devant et derrière la caméra. Elle alterne brillamment les scènes de préparation avec celles des tournages. Cette dualité fondamentale est à l’image d’une industrie où les délimitations sont cruciales. Thyberg nous confronte, dans un premier temps, à cette limite narrative, esthétique et presque éthique, infranchissable.
Mais au lieu de dévouer la totalité de son film à ce parti pris – montrer les coulisses, le plateau et la transition brusque et sans équivoque entre les deux – la réalisatrice peine à faire la distinction entre fiction et réalité. Ce reproche que nous pouvons adresser au film prend forme dans la figure du personnage principal. De fait, les personnages secondaires sont incarnés par de véritables personnalités de l’industrie pornographique tandis que Bella Cherry est jouée par l’actrice Sofia Kappel (dont on ne remet certainement pas en cause la frappante interprétation). Dans un univers quasi-documentaire gravite donc un pilier narratif, fictif. La frontière devient alors flou et malaise s’en suit.
Pour être attachante aux yeux du spectateur, Bella doit évidement essuyer des échecs et se remettre en cause. Principe qui la fait ressortir du milieu dans lequel elle évolue, de façon peu subtile. Ainsi, lorsqu’elle se heurte à la violence de certains tournages, une dissociation intellectuelle et affective de la part du spectateur s’effectue. Doit-il s’intéresser à la caractérisation et la démonstration de professionnalisme qui entoure cette violence, ou bien ressentir la gêne éprouvée par le personnage ? Il va, certes, de soi que, dans ce milieu, la femme est sujette à une objectification systématique mais ce qui aurait pu donner à Pleasure une posture nouvelle est cette affirmation que les actrices ne sont justement pas des victimes mais sont façonnées pour les jouer devant la caméra.
Pleasure part donc d’un postulat intéressant mais son ambition fictive le prive d’une prise de recul nécessaire pour dépeindre finement le milieu du cinéma pornographique américain. Pour ceux qui se sentiraient déçus par cette trame narrative académique qui entrave un sujet foisonnant et tabou, nous recommanderons chaudement le documentaire Hot Girls Wanted, réalisé par Rashida Jones en 2015.
Pleasure / De Ninja Thyberg / Avec Sofia Kappel, Revika Reustle, Evelyn Claire, Chris Cock / Suède – États-Unis / 1h49 / Sortie le 20 octobre 2021.