L’Histoire de ma femme

Au cinéma le 16 mars 2022

Gijs Naber et Léa Seydoux © Pyramide Films

« Femme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes », eût pu tout aussi bien écrire Baudelaire dans son poème L’Homme et la mer. Cette vérité, le capitaine Jakob Storr la découvrira tout au long de ses années de mariage et au-delà, sans jamais parvenir à la conjurer. L’Histoire de ma femme est une histoire d’abîmes, une histoire trouée, fruit du regard d’un mari qui, à l’image de ces vues à travers des hublots, semble poser un cache sur le réel.

Pour Jakob, marin crevant de solitude, tout commence dans un café, par un pari : celui d’épouser la première femme qui en franchira le seuil. S’ensuit une vie conjugale tumultueuse avec Lizzy, jeune mondaine de Paris. Cette femme de l’inconnu pour le protagoniste demeurera, malgré tous ses efforts, l’inconnaissable. Idem pour le spectateur, rivé indéfectiblement aux bornes de sa perception. Peut-il en être autrement ? La force et la beauté du geste de la cinéaste Ildiko Enyedy naissent des manques et des implicites qui traduisent l’ impossibilité de comprendre l’autre, d’accéder à la totalité de l’autre, une règle qui vaut bien sûr pour le cinéma.

Une portée réflexive se déploie donc en filigrane, derrière un récit d’apprentissage de la vie et de ses désordres, Lizzy incarnant le réel insaisissable, une évanescence que l’on éprouve via le récit mémoriel de Jakob. Filmée à travers des miroirs, apparition spectrale sur un trottoir, elle est une présence-absence : présence vécue, par l’époux, et absence réelle, en tant qu’il rate nécessairement son essence. Elle est comme une image dont le capitaine ne peut comprendre la profondeur.

Seulement voilà, en dépit de ses ambitions éminemment romanesques – le film est adapté d’un roman de Milan Füst – et de l’acuité certaine de la réalisatrice, le film s’étire en un récit joué sans cesse sur la même note, qui ne dépasse jamais ce qu’il échafaude dans sa première moitié. Et le précieux spectacle de l’alchimie palpable entre Léa Seydoux et Gijs Naber – la grande révélation du film – ne suffit pas non plus à nous emporter complètement dans cette histoire touchante d’un homme qui, comme tous, n’est pas prêt pour l’amour, pas prêt pour la vie.

L’Histoire de ma femme / Ildikó Enyedi / Avec Gijs Naber, Léa Seydoux, Louis Garrel / Hongrie / 2h49 / Sortie le 16 mars 2022.

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