Rencontre avec : Franz Rogowski

© Stefan Klüter

Depuis quelques années, Franz Rogowski est sur tous les écrans. L’acteur allemand enchaîne les projets ambitieux, travaillant avec Michael Haneke, Christian Petzold ou encore Terrence Malick. Dernièrement à l’affiche de Freaks out et Great Freedom, nous l’avons rencontré à l’occasion de la sortie de Luzifer, actuellement sur MUBI.

Qu’est ce qui vous a attiré dans le jeu d’acteur ?

Ce n’était pas vraiment un désir de jeu mais plutôt un rejet du système solaire. Cela a été un vrai traumatisme pour moi car je suis ce qu’on pourrait appeler hyperactif. L’idée de devenir acteur vient donc d’un fantasme assez naïf, celui de produire de l’art collectivement et grâce à son corps, grâce aux mouvements. Les seules matières dans lesquelles j’étais doué à l’école étaient le sport, l’éthique et l’art. Donc j’ai pensé que le jeu d’acteur pourrait être une combinaison de ces choses là. 

Vous jouez effectivement de nombreux rôles très physiques, c’est donc quelque chose que vous recherchez consciemment ?

Pas forcément mais je suis évidement intéressé par la notion de transmission d’informations, sur un plan subconscient : au lieu d’expliquer quelque chose oralement, parfois il vaut mieux l’exprimer avec du silence par exemple. Partager une information de façon plus cinématographique, je dirais.

Vos personnages sont souvent dotés de capacités très spécifiques. Dans Luzifer, par exemple, vous domptez des rapaces. Est-ce quelque chose qui vous stimule en tant qu’acteur, apprendre de nouvelles pratiques ?

C’est assez extraordinaire, oui. Au théâtre, c’est beaucoup moins extrême : vous apprenez à ressentir différentes choses mais au cinéma vous devez les vivre. Je dois avouer que travailler avec un aigle est tout de même assez terrifiant. Nous avons du nous préparer pendant longtemps car l’aigle est finalement le meilleur ami de mon personnage. Mais je n’étais jamais assez détendu pour le considérer comme un ami, c’était plutôt un collègue !

Comment choisissez-vous les personnages que vous interprétez ?

Ce n’est pas tant les personnages qui m’intéressent mais le script, qui est lui-même d’ailleurs un personnage. Dans Luzifer, le réalisateur Peter Brunner était également très présent dès le début jusqu’au processus de montage. La façon dont il construisait le personnage m’a plu et son implication m’a intrigué. Les motivations des personnages sont en fait délaissées, on ne les connait pas vraiment. Ce qui est intéressant c’est la nature archaïque des relations entre le fils et la mère, entre l’Homme et la nature, entre le progrès et la tradition.

Avez-vous beaucoup répété avec Susanne Jensen qui joue votre mère ?

Oui, et c’était d’ailleurs une des raisons qui m’a donné envie de faire ce projet. Susanne est un vrai prêtre, elle e survécu à des nombreuses agressions dans son passé. Elle a apporté cette enfance traumatique et ce passé extrême sur le tournage. Elle était capable de transmettre ces douleurs à son personnage. Elle n’a jamais eu d’enfants mais a toujours rêvé d’avoir un fils. Donc dès le début j’ai su que notre relation serait très spéciale : pendant deux mois, j’allais réellement être son fils. Elle m’a clairement dit dès le début du tournage qu’elle n’avait jamais eu d’enfants et que c’était pour ça qu’elle était ici.

Le film se construit sur un base religieuse, presque mythologique, pour Luzifer. Il y a également un arrière plan historique dans Ondine ou même Freaks out, avez-vous effectué des recherches là dessus ?

Pour Freaks out, nous nous intéressions à une partie considérable de l’histoire et de l’identité allemande, qui est un énorme traumatisme. Mais l’approche que Gabriele a prise est très légère. Je crois que les cinéastes et le public allemands se focalisent, à bon droit, systématiquement sur l’aspect le plus horrible du conflit. Alors que l’histoire que nous voulions raconter trouvait son inspiration plutôt dans le dessin animé ou les romans graphiques. Je savais dès le départ que même si j’étais un acteur allemand dans le rôle d’un nazi, ce qui est très commun pour les interprètes allemands lorsqu’ils débutent dans le cinéma international, mais Gabriele n’était pas très occupé par la culpabilité mais plutôt le côté fantastique. Donc c’était intéressant d’aborder les choses d’un point de vue différent. Donc oui, mes films ont souvent affaire avec l’histoire mais toujours de façon très unique et différente. Dans Great Freedom, nous mettions également en lumière un aspect de l’identité allemande, et c’est en apprenant à connaitre mon personnage que j’ai réalisé que dans mon enfance j’ai pu observer des gens qui avaient peur des personnes homosexuelles. Dans les années 80, on grandissait donc dans un système de répression et de persécution de la communauté LGBT. C’est donc fascinant de faire des recherches sur le contexte historique mais les personnages sont des êtres humains. Je ne peux pas incarner l’histoire, ce serait ridicule. Je dois me concentrer sur le personnage : je peux jouer un nazi mais pas l’Holocauste.

Est-ce des conversations que vous avez avec les réalisateurs ?

Oui, la plupart du temps ils veulent que vous apportiez au personnage un peu de votre expérience personnelle pour vraiment lui faire prendre vie. Quand tu reçois un script ce ne sont que des mots sur du papier, il faut réussir t’y connecter. Même si à première vue cette histoire que tu lis est très différente de la tienne. Mais ces personnages sont humains comme nous, ils ont souvent les mêmes aspirations donc on peut trouver un lien entre un personnage et son acteur.

À quoi ressemble une collaboration idéale entre un acteur et un réalisateur selon vous ?

C’est presque comme dans une relation amoureuse, il n’y a pas de recette miracle pour que ça marche. Évidement on peut énoncer que l’on aimerait être avec quelqu’un d’honnête, de curieux, de courageux et de talentueux mais personne ne répond à toutes nos attentes. Parfois on travaille avec quelqu’un qui a des difficultés sur le plan sociable mais qui est plus que capable professionnellement, et vice-versa. Alors il faut mettre de côté certaines choses pour se concentrer sur d’autres. On fait des compromis. Chaque projet on recommence à zéro donc il faut très rapidement créer une relation de confiance pour vaincre les peurs que chacun porte avec lui en début de tournage. Il faut réussir à transformer cette pression en énergie. Et lorsque les collaborateurs sont ouverts d’esprit, cela se fait facilement et on peut commencer à réellement jouer. La confiance est essentielle car elle permet de dépasser l’idée de « travail » et d’atteindre une forme d’honnêteté. Il y a beaucoup de bons films qui sortent mais en regardant de plus près on remarque que ce sont des personnes qui font bien le travail, rien de plus. Ce que je recherche doit aller plus loin que juste le rendu d’un produit.

Vous travaillez avec beaucoup de cinéastes étrangers, comment abordez-vous cette différence de culture ?

Je n’avais pas prévu de ne pas faire de films allemands, mais c’est comme ça que ça s’est passé. Cette dernière années j’ai tourné en Italie, en Autriche, en France, aux Etats-Unis. C’est très beau de connaître différentes personnes d’autres pays car chaque production a sa propre culture. Cela influence tout le tournage. En Italie par exemple l’acteur parle de réalisation, le directeur de la photographie commente le jeu, le réalisateur discute des lumières. Cela parait complètement chaotique pour un allemand ! Mais je crois que c’est en réalité très sain de dépasser sa propre perception des choses.

Propos recueillis par Chloé Caye le 7 avril 2022, via Zoom.

Auteur : Chloé Caye

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