
La tradition cinéphilique française se veut internationaliste, en témoigne la tendance cannoise à récompenser le cinéma de tous horizons. Il y a pourtant des contrées encore peu explorées de notre regard, la Roumanie, bien que détentrice d’une Palme d’or en 2007 pour 4 Mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu, en est une. Avec Dédales, Bogdan George Apetri nous propose un thriller baigné d’une certaine clairvoyance dans sa critique sociale.
Le début du film annonce sa couleur, un plan séquence serré qui vient balayer du regard une scène. Il s’agira de choisir ce que l’on nous donne à voir, ce qui est laissé aux yeux du spectateur ou ce qui ne l’est pas, ce qui est dit, tu, ou sous entendu. Le récit se fracture en deux parties : un crime, le viol d’une jeune nonne au retour de sa tentative d’avortement, laissée pour morte dans un bois, et l’enquête qui l’accompagne, menée par un jeune inspecteur déjà promis à un grand avenir, dont les intrications personnelles avec l’enquête se révèlent à l’avancée du récit. La première partie prend des allures de drame social, Apetri dépeint minutieusement une société conservatrice, religieuse et patriarcale à travers la trivialité d’une conversation en voiture. Le tabou, tant visuel qu’oral, y tient une grande place, dans les non-dits ou sous-entendus évoqués précédemment mais également dans ces plans séquences en panoramique, dont celui de la séquence de viol qui rend avec grande minutie la souffrance de la victime, la violence de l’acte et le détournement du regard des potentiels témoins.
C’est ainsi qu’à l’arrivée de la seconde moitié du film un déclic s’opère. Toutes ces interactions de la victime lors de son périple deviennent pour nous des preuves évidentes, de potentiels témoins qui pourraient corroborer à la thèse de la police. C’est aussi l’intérêt du film, il s’agit davantage de prouver la culpabilité d’un suspect que de mener une enquête déjà fouillée dans la psyché du spectateur. Cette quête permet là aussi une exploration des zones d’ombres et des tares de la police comme de la société roumaine en général. Ce par une descente de plus en plus profonde dans l’intériorité troublée de l’inspecteur jusqu’à une séquence mémorable où se croisent fantasmes crus et réalité pathétique.
Bien que parfois desservi par ses suites étouffantes de gros plans qui nous font nous languir du plan large, on retiendra de Dédales son propos social, certes, mais aussi son suspens bien tenu, son attention au détail, ses références bibliques aux mains lavées et à quelques larmes dissimulées, sa bande originale ou encore son travail d’écriture… En bref, un cinéma d’une épaisseur qui s’apprécie et à qui on pardonne ses petites aspérités.
Dédales / De Bogdan George Apetri / Avec Ioana Bugarin, Emanuel Parvu, Cezar Antal / Roumanie, République tchèque, Lettonie / 1h 58min / Sortie le 20 juillet 2022.