
Il est arrivé le blockbuster de l’été, sous l’escorte d’une promo punchy et du plus cool des acteurs cools, Brad Pitt, dont l’aura persistante, voire polie par les ans, a de quoi faire pâlir le dernier Thor et son marteau flétri. Pour rester sur les rails, à chacun sa méthode. Alors qu’un Tom Cruise privilégie l’autocélébration, érigée par delà les cimes dans Top Gun Maverick, Pitt préfère la voie de l’auto-dérision, se railler de soi plutôt que s’aimer soi, une approche qu’il réitère dans Bullet train sous la panoplie de Coccinelle, un assassin loser et angoissé qui doit subtiliser une mallette dans un train à grande vitesse reliant Tokyo à Morioka.
Si la mission paraît simplissime, c’est sans compter la présence de six autres tueurs redoutables et pittoresques qui courent tous le même lièvre, et qu’un coup du sort malencontreux (du moins le croient-ils) réunit dans une même galère. Vendu comme l’un de ces films d’action déjantés aux influences néo-noires puisées chez les Coen, Tarantino, Ritchie, Miike ou James Gunn, le film de David Leitch – ancien cascadeur qu’on avait pu voir à l’œuvre avec les faiblards Atomic Blonde (2017) et Deadpool 2 (2018) – satisfait les attentes sans bien sûr les transcender, comme il est de coutume pour ce genre de productions. Difficile de ne pas voir à travers le duo attachant de Citron et Mandarine des enfants de Jules et Vincent (Pulp Fiction, 1994), à ceci près qu’ils sont un peu moins bêtes, un peu plus tendres, qu’ils ne parlent pas de massages de pieds mais de Thomas le petit train et qu’ils seront vite oubliés. On trouve encore du pastiche de Leone, ses inserts regards et ses cartons stylisés identifiant chaque personnage, quand d’autres pointeront ici les apports du manga.
Couleurs pop et visuels flashy parachèvent cet univers fun et délicieusement déjà vu, où pleuvent en cascade revirements de situations, effusions de sang cartoonesques et gags burlesques tantôt désopilants, tantôt puérils. Or si le film a d’évidentes faiblesses, des digressions et dialogues poussifs à la boursoufflure finale d’effets spéciaux disgracieux (je laisse le soin au lecteur d’apprécier l’euphémisme), en passant par des bribes sentimentales et des ralentis pompeux, reste qu’il a le mérite de composer un récit et des personnages – quoique certains soient inégaux. Car a contrario de nombreuses superproductions, l’essentiel du spectacle de Bullet Train ne procède pas de ses effets techniques et visuels, mais avant tout de son intrigue, de ses ressorts dramaturgiques.
De là naît son ludisme en tant qu’il se pose en exemplum de construction narrative. Le film offre une démonstration de ce qui fonde une dynamique romanesque : un MacGuffin comme moteur de l’action (la valise) autour duquel s’articulent les trajectoires de personnages aux motivations diverses ; un dénominateur commun et inconnu qui les chapeautent et les relient ; un élément perturbateur et inattendu ; et enfin, pour condenser le tout, une unité de temps et de lieu, c’est-à-dire le train, en sachant que s’il peut aller à toute allure avec arrêts d’une minute, c’est encore mieux. Le train se pare d’ailleurs de connotations multiples ; à la fois métaphore d’un déterminisme narratif et existentiel, il est aussi – et David Leitch le sait – l’allégorie historique du cinéma où, immobiles sur un siège, on contemple les paysages en images-mouvement. L’attrait de Bullet Train n’émane donc pas de sa fable holistique et initiatique, qui s’entend davantage comme une caution intellectuelle, mais plutôt de sa tentative régressive de jouir et faire jouir de la puissance romanesque du cinéma.
Bullet Train / De David Leitch / Avec Brad Pitt, Joey King, Aaron Taylor-Johnson, Brian Tyree Henry, Micheal Shannon / Etats-Unis / 2h07 / Sortie le 3 août 2022.