
Après trois longs métrages charmeurs et charmants mais inégaux, Louis Garrel, que l’on aurait pu craindre de voir ventriloquer le cinéma de son père, aurait-il enfin trouvé sa voie avec L’Innocent ? Ou par voie entendra-t-on sa propre voix d’auteur ? Dans son précédent film La Croisade, on sentait que l’éternel jeune premier du cinéma français amorçait un virage sec dans sa filmographie. Un virage à 180 degrés vers une légèreté désinhibée, quoique dénier la veine comique de L’Homme fidèle serait une bévue.
C’est donc avec beaucoup d’allégresse, partagée sans entrave par le spectateur, que Louis Garrel se vautre dans la comédie. Un registre qui, on le pressentait, lui va comme un gant. Garrel incarne encore un Abel (Abel Lefranc, qui n’est pas très franc, avec les autres ni avec lui-même) dont la mère Sylvie (Anouk Grinberg), professeure de théâtre en milieu carcéral, décide d’épouser en prison Michel (Roschdy Zem), un détenu. Alors que Michel à sa libération semble définitivement rangé, Abel s’inquiète pour sa mère et soupçonne son nouveau beau-père de tremper dans un mauvais coup.
A côté de la pertinence avec laquelle Louis Garrel met en scène le nœud complexes des sentiments reliant un fils et sa mère, ainsi que l’inadéquation ô combien humaine entre les affects et les actes, ou les mots, c’est surtout l’originalité rafraîchissante du film dans le traitement de son sujet qui séduit, emballe, sans qu’une pointe de réserve ne parvienne à nous rattraper. Petit miracle, si d’ordinaire bon cinéma et bons sentiments ne font pas bon ménage, L’Innocent réussit à les rabibocher avec brio, sur fond d’amoralité, grâce à un cocktail visuellement feutré, vintage, et pétillant de genres et de tons, entre comédie familiale, comédie romantique, et bien sûr, dans sa dernière partie, film de casse. Tout cela sous-tendu par un suspense délicieusement hitchcockien, alors que Garrel se plaît à puiser chez le maître (par exemple Soupçons) ou chez De Palma.
Ce goût de la référence dans une comédie noire aux accents burlesques et au cadre provincial (l’histoire se passe à Lyon) doit sûrement beaucoup au principal coscénariste du métrage, l’écrivain Tanguy Viel, encore injustement confidentiel malgré son succès public Article 353 du code pénal. De l’auteur cinéphile, fervent adepte d’Hitchcock, on retrouve le goûts des invariants et des scénarios motifs du noir, l’attrait pour des personnages simples en quête d’une plus belle vie et la ligne de crête galvanisante, propre à sa gageure narrative, entre distanciation et romanesque débridé. Voilà qui achève de réjouir à la sortie de L’Innocent : le sentiment d’avoir assisté à un moment précieux, aux étincelles d’une jeune et belle rencontre de cinéma.
L’Innocent / De Louis Garrel / Avec Louis Garrel, Anouk Grinberg, Roschdy Zem, Noémie Merlant / France / 1h 40 / 12 octobre 2022 .