
26 novembre 1974. Simone Veil monte à la tribune de l’Assemblée Nationale pour défendre le droit à l’avortement. Face à elle, une marée d’hommes. Leurs visages défilent, à grand renforts de fondus et de gros plans pendant qu’ils enchaînent les arguments misogynes. En 2022, alors que le droit à l’IVG est menacé, la pertinence du sujet est incontestable. Pourtant, c’est comme si Olivier Dahan avait peur – que le discours de son héroïne ne soit pas assez fort, que la haine de ses adversaires ne soit pas assez marquante – et qu’il tentait de soutenir une histoire, qui se suffit par ailleurs très bien à elle-même, par un pathos qui devient rapidement insupportable.
Parler de Simone Veil, c’est parler de l’Histoire avec un grand H. Ses combats sont multiples, à toutes les échelles. Que ce soit face à son mari, qui ne comprend pas qu’elle veuille travailler, face à des gardiens de prison qui refusent de soigner leurs détenus, ou face à un État qui ne veut pas entendre parler du SIDA, elle trouve un moyen de s’imposer et de faire changer les choses. Alors que la France se félicite d’avoir été une nation résistante et refuse de reconnaître sa complicité dans la déportation, Simone Veil parle. Elle raconte les camps, les fourgons, les marches, et n’accepte pas que la Shoah soit passée sous silence. Dans cette France d’après-guerre, tout en elle dérange – ce qui ne l’empêche pas de devenir, trente ans plus tard, la première Présidente du Parlement européen.
La densité d’une telle histoire devrait alors suffire pour composer un film prenant et c’est avec plaisir et admiration que l’on découvre toutes les avancées permises par Simone Veil ; mais c’est la manière de le faire qui pose problème. Que montrer de l’Histoire et de ses horreurs, sans tomber dans l’indécence ? Comment représenter les combats, mais aussi la souffrance de cette femme, sans être exhibitionniste ? Simone ne répondra pas à ces questions. Les effets mélodramatiques s’enchaînent ad nauseam – musique déchirante en fond, gros plans interminables sur des visages dans les camps, et toujours, Simone pleure. Même quand les caméras des journalistes se détournent par pudeur, et ce à l’intérieur du film même, celle d’Olivier Dahan reste braquée sur son visage inondé de larmes, probablement au cas où le spectateur ne comprendrait pas la terrible tragédie représentée ici.
Et c’est une étrange juxtaposition que celle des paroles dignes et puissantes de Simone Veil, admirablement lues par Elsa Zylberstein, et de dialogues plats et clichés qui entraînent un sentiment de ridicule compassé. Alors que Simone Veil s’est tant battue, on nous la montre immobile : sur son siège à l’Assemblée nationale, face à la mer quand elle écrit ses mémoires, baissant les yeux et restant muette quand des hommes lui expliquent comment faire son travail. Là où elle était du côté de la vie, le film se concentre sur le mortifère. Ses combats défilent rapidement, mais on s’attarde sans la moindre pudeur sur ses blessures, sa souffrance, ses drames personnels. C’est une vie que l’on doit garder en mémoire et qui, seule, était plus que suffisante pour porter l’ensemble du film ; dommage qu’Olivier Dahan ne lui aie pas fait confiance.
Simone, le voyage d’un siècle / De Olivier Dahan / Avec Elsa Zylberstein, Rebecca Marder / France / 2h20 / Sortie le 12 octobre.