
La mort soudaine de l’acteur Chadwick Boseman annonçait la fin précipitée de son personnage, Black Panther. Dans ce deuxième opus de la saga à succès, les pontes des studios Marvel ainsi que les habitants du Wakanda lui cherchent un digne successeur…
Black Panther : Wakanda Forever continue ce qu’Avengers : Infinity War avait entamé ; à savoir, donner une certaine crédibilité aux conflits filmés. Thanos voulait éradiquer la moitié de la population humaine, pour que ceux restant puissent puiser respectueusement dans les ressources terrestres (ou extra-terrestres) sans devoir se les disputer. Une intrigue dans laquelle le grand méchant s’apparente donc à un écologiste radical. Amusant, il est vrai, mais aussi quelque peu troublant d’enfin voir des problématiques de notre temps être transposées de la sorte à l’écran, lorsqu’auparavant elles s’inspiraient essentiellement de guerres révolues pour en réitérer la victoire américaine, ou bien d’antagonistes aux ambitions, pour le moins, abstraites. Virage à 180° degrés dans Black Panther : Wakanda Forever puisque les ennemis des super-héros ne sont autres que les américains et les français.
Ces derniers, ayant pris connaissance de la mort du roi T’Challa (alias Black Panther), le protecteur du Wakanda, n’hésitent pas à en profiter pour refaire part de leur intention d’aider le royaume, en échange de leur ressource la plus précieuse : le vibranium. L’intrigue met donc en scène deux grandes nations qui souhaitent profiter de la déstabilisation du gouvernement d’un pays africain pour s’octroyer ses ressources. Les règles du jeu ? Pas de règles. La CIA est prête à accuser les Wakandais d’un attentat sur le sol américain afin de justifier une intervention et confiscation du vibranium. Étonnamment réaliste mais surtout réellement étonnant de la part de l’une des plus grosses machines de soft-power américain. Côté États-Unis, plus de héros, mais des politiciens ; dans Black Panther (et peut-être ailleurs), c’est antinomique. Avec ce postulat, Ryan Coogler, scénariste et réalisateur, fait d’ores et déjà de son film un objet plus intrigant, voire intéressant, que toutes les autres productions cinématographiques de cette quatrième phase de l’univers Marvel. Les américains prennent du recul sur la façon dont ils représentent les américains. Qui l’eût cru ? Cette légère nuance ou ce rapide flou quant aux intentions des dirigeants des nations dotées de super-héros n’est pas négligeable.
Pourtant, c’est un questionnement dont on se dispense rapidement alors que se font connaître les vrais bad guys : un peuple sous-marin, sur la côte du Mexique, bénéficie lui aussi du vibranium. Les antagonistes ne sont plus ceux qui veulent piller les ressources mais ceux qui refusent de les partager. Kukulkan, l’homme-poisson aux chevilles ailées, fruit d’une légende mexicaine doit donc nécessairement être exterminé car il est prêt à tuer pour protéger son territoire de l’invasion. Victoire à qui tuera le premier et, surtout, le plus discrètement. Malgré tout, une forme d’empathie et de sympathie envers le personnage et ses convictions persistent. Son point de vue, même s’il ne peut pas coexister avec celui des américains, a le mérite d’être entendu et compris par ces derniers. Progrès ou cynisme ? Difficile à dire. En tout cas, on assiste à une construction narrative qui, à l’aune d’un conflit, nous éloigne un peu des structures manichéennes auxquelles nous sommes habitués. Mais sans perdre plus de temps, place à la bagarre.
Il est dommage que l’esthétique du film ne s’avère pas, elle aussi, moins forcenée. Si quelques plans de combat impressionnent, Black Panther : Wakanda Forever se déroule comme un étalage vulgaire de formes, de couleurs et de sons peu harmonieux. Sa longueur ajoute à ce sentiment de trop plein visuel et sonore. Les chansons (on dit bien chansons et non musiques) sont omniprésentes et donnent un aspect « clipesque » au film qui manque de fluidité, les costumes se succédant eux aussi à une rapidité effarante. Il semblerait que pour combler le manque d’enjeux flagrant dans la seconde moitié de son œuvre, Ryan Coogler s’efforce non pas de filmer, mais de montrer. Le spectateur doit en voir le plus possible, et le plus vite possible. Pas de répit. Et s’il naît donc de plein d’intentions louables, Black Panther : Wakanda Forever manque dans son accomplissement de cohésion, de tenue.
Black Panther : Wakanda Forever / De Ryan Coogler / Avec Letitia Wright, Angela Basset, Dominique Thorne, Michael B. Jordan, Tenoch Huerta Mejía et Lupita Nyong’o/ États-Unis / 2h41 / Sortie le 9 novembre 2022.