
Alors que Les Chiens Errants semble marquer l’apogée stylistique de Tsai Ming-liang, Days présente encore un pas de plus vers l’idéal méditatif du cinéaste.
Dans cette longue errance d’un peu plus de deux heures, le cinéaste taïwanais étire plus que jamais le temps, il fait du cadre le théâtre de l’immobile et du hors-champ le seul lieu d’une action qui ne nous sera jamais montrée. La mise en scène se fait l’alter-ego de Kang, personnage principal apathique voué à contempler le monde plutôt qu’à y participer. Ce faisant, elle adopte un parti-pris audacieux, déjà initié dans les précédents films de Tsai Ming-Liang : concentrer la quasi-totalité des séquences en intérieur, refuge des deux protagonistes, et d’annihiler progressivement l’extérieur, endroit oppressant et invivable qui finit relégué à l’arrière-plan. En cela, Days se dresse presque en adaptation antithétique de Fenêtre sur Cour dans laquelle le héros aurait finalement décidé de tourner le dos à sa baie vitrée.
Les restants d’humanité, qui s’accrochaient timidement aux derniers films du cinéaste, ont disparu. L’absence de la parole ou d’une quelconque forme d’émotion a tôt fait de remplacer ces êtres humains en pantins de l’existence, risquant à tout moment de faire basculer le film dans une froideur facilement hermétique. Heureusement, c’est par l’intermédiaire d’une relation charnelle que Tsai Ming-Liang justifie sa démarche. En se construisant comme un long montage parallèle de deux existences distinctes, Days annonce la rencontre inévitable de deux hommes qui se complètent – l’un (Kang), souffrant de problèmes de dos et de cou, l’autre (Non), doué de ses mains. Via une brève – et paradoxalement éternelle – scène de massage, les deux corps s’unissent enfin dans un même plan tandis que le contact physique et la jouissance qui en découle mettent fin à plus d’une heure de solitude et d’anémie, qui reviendront aussi vite qu’elles sont parties. En un seul instant, sous la caméra pudique de Tsai Ming-Liang, l’émotion tant attendue embrase l’écran et finit d’imposer Days comme une douce mélodie urbaine, dans laquelle – comme Non – on décide de s’abandonner.
Days / De Tsai Ming-liang / Avec Lee Kang-sheng, Anong Houngheuangsy / 2h06/ Taïwan/ Au cinéma le 30 novembre 2022.