Rencontre avec : Kate Dolan

© Madmoizelle

Après deux court-métrages, Kate Dolan réalise son premier long-métrage, mélangeant horreur irlandaise et exploration d’une maternité en crise. You’re not my mother est pour la première fois montré en novembre 2021, au festival fantastique de Toronto, où il finit finaliste du choix du public dans la sélection Midnight Madness. Après un an de tournée dans les festivals et de parution à l’étranger, le film paraît enfin sur nos écrans le 7 décembre, sous le nom de Samhain, aux origines d’Halloween.

Le titre Samhain, aux origines d’Halloween souligne le double aspect de cette fête. Quelle a été votre principale inspiration pour ce film ?

Les premières versions du film ne se déroulaient pas à Halloween, c’est quelque chose que j’ai ajouté au fur et à mesure. C’est surtout la mythologie du changeling (ndlr: créature d’apparence humaine laissé à la place d’un nouveau-né enlevé par des monstres) qui m’a relié à Samhain. Avant, c’était plus focalisé sur les pathologies mentales et la famille. Ensuite, j’ai commencé à faire plus de recherches sur l’histoire païenne et le folklore irlandais. J’ai compris qu’il fallait que ça se déroule à Halloween, lorsque des créatures d’outre-monde peuvent nous atteindre, car la frontière entre leur monde et le nôtre est très fine. Choisir cette période de l’année faisait sens, surtout en Irlande. À Halloween, on allume des feux de joie autour des maisons, ça amenait donc ce symbolisme de feu purificateur et c’est ce qui m’a définitivement convaincu de faire mon film sur cette fête.

Quelles ont été vos plus grandes influences ?

Je pense que L’Exorciste est définitivement une grande influence, de par la relation mère-fille et son approche du rythme. La première moitié est lente et pose cette une atmosphère dans laquelle on sent que quelque chose ne va pas sans être certain. Parce que Samhain adopte surtout le point de vue de Char, le personnage principal, un autre film très influent a été Rosemary’s Baby car c’est un film qui se construit à partir d’un seul point de vue, celui d’une femme. Il en a d’autres, comme le film coréen The Stranger qui reprend beaucoup de représentations du folklore japonais et coréen. Étant donné que mon film est beaucoup inspiré de l’histoire et du folklore irlandais,The Stranger était proche de ce qu’on voulait accomplir, surtout au niveau du ton.

Dans un autre entretien, vous aviez justement mentionné votre intérêt pour les films d’horreur asiatiques.

C’est sûrement parce qu’ils se concentrent plus à capturer un sentiment de malaise. Il y a le remake américain de The Ring, qui est complètement différent de la version japonaise. J’ai l’impression que des films comme The Ring ou Pulse n’expliquent jamais en détail ce qu’il se passe, ce que les personnages endurent : c’est plus à propos d’une sensation d’étrangeté. Aussi, de par leurs visuels, ces genres de film me troublent, ils me font ressentir quelque chose d’étranger à notre monde. En comparaison avec le style américain, plus focalisé sur l’action, l’intrigue, et qui s’assure que des choses vous sautent dessus tout le temps.

Samhain est à la fois un film de monstre plutôt explicite et un drame humain plus sensible et subtil. Avez-vous eu des difficultés à combiner ces deux aspects ?

Oui, on a toujours cherché à ce que le film ne change ni trop brusquement, ni trop tôt, de ton et de trajectoire. Le budget était très serré, il fallait œuvrer avec une économie de ressources et de temps. J’ai toujours voulu que la première moitié du film soit plus lente et mystérieuse, où ce qui arrive à la mère est très ambigu et peut ne pas être dû seulement à des problèmes de santé mais c’était très difficile. Une première version du film n’insistait pas trop sur le monstre à la fin mais finalement j’aime beaucoup trop créer des créatures cauchemardesques !

Avant ce film, vous aviez réalisé Catcalls, un autre film d’horreur. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre ?

Je pense que c’est un genre très intéressant pour un cinéaste. Il est possible de s’amuser, de débrider son imagination pour créer des monstres et des mondes très différents du nôtre. Aussi, assez souvent même, les films d’horreur permettent d’explorer des thèmes et des sujets très sombres qui seraient peut-être trop durs dans un drame. Par exemple, Catcalls est à propos d’un prédateur sexuel qui s’expose à deux femmes qui vont se venger. Je pense que si cela avait été raconté dans un drame, le film aurait été plus dur à voir, l’expérience aurait été dérangeante. Alors que dans un film d’horreur, le public peut regarder tout en saisissant les thèmes les plus profonds.  

Comme vos personnages, vous aviez grandi dans un lotissement au nord de Dublin. Vous peignez un portrait très sinistre de ces lieux. Vous êtes-vous inspirée de votre propre expérience ?

Oui, c’est quelque chose que j’ai tiré de mon expérience personnelle. Je pense que l’endroit où j’ai grandi pouvait être assez difficile parfois, si on regardait quelqu’un de la mauvaise façon la journée pouvait mal finir. J’avais la sensation de vivre dans un monde qui n’était pas 100% sûr. C’est pourquoi, j’ai voulu rendre la banlieue nord sinistre, comme s’il y avait quelque chose de surnaturel sous le sol, juste sous nos pieds.

L’une des plus grandes forces de votre film est que vous parvenez toujours à entretenir une atmosphère étouffante et claustrophobe, même dans les moments les plus calmes. 

Je crois que c’est dû au langage visuel du film. Le chef opérateur et moi étions conscients du manque de ressource, de temps et d’équipements, alors nous avions choisis nos plans avec beaucoup de soin, surtout à l’intérieur de la maison. Nous avions fait des story-boards pour toutes les scènes. Puis, nous avons réellement filmé dans une maison avec beaucoup de petits espaces. Nous voulions exploiter le plus possible cette impression de claustrophobie. Cela provient aussi de notre choix de focaliser nos plans autour de Charlotte : ils sont donc très resserrés, il est difficile de discerner l’espace autour d’elle. J’ai essayé de reproduire ce style et cette ambiance même dans les plans d’extérieurs, qui sont très larges et pourtant ne se ressentent pas comme ça. De plus, cela est beaucoup dû aux musiques de Die Hexen, la compositrice, qui se juxtaposent très bien aux images. 

J’ai remarqué que vous développiez tous les personnages mineurs, même lorsqu’ils ont une influence très minime sur le déroulement du film. Peut-on dire que Samhain possède certains aspects d’un film choral ?

Lorsque j’écris, j’aime approfondir les personnages le plus possible. Je n’aime pas le manichéisme, je trouve ça peu réaliste. J’aime explorer les personnages, essayer de découvrir qui ils sont, leurs trajectoires, leurs motivations, et en discuter avec les acteurs. En commençant les répétitions, on découvre de nouvelles choses qui peuvent changer le script et l’identité des personnages. Au moment de choisir les acteurs, il faut réellement percevoir les personnages. Puis, lorsqu’on débute le tournage, les choses deviennent plus réelles. Les différentes femmes et leur univers se concrétisent. L’aspect choral enrichit le lieu et comment les personnes y vivent.

Quels sont vos prochains projets ?

Pour le moment, j’ai deux films d’horreur en développement. J’espère que l’un deux sera tourné l’année prochaine mais j’attends de voir comment les choses évoluent. Dernièrement, j’ai aussi été très occupée à réaliser deux épisodes de série. Avec un peu de chance, je pourrai recommencer à réaliser des films d’horreur l’année prochaine, à créer d’autres monstres !

Propos recueillis par Mattéo Deschamps, le 05/12/2022, à Paris.

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