
Entre la bande-dessinée franco-belge et le thriller hitchcockien, Nicolas Pariser crée avec Le Parfum Vert un mélange étonnant de divertissement et d’audace, d’espionnage pictural et d’inspiration rohmerienne. Nous avons eu le plaisir de le rencontrer avant la sortie de son troisième long-métrage, à l’affiche partagée par Vincent Lacoste et Sandrine Kiderlain.
Après Le Grand Jeu et Alice et le maire, plus tournés sur une exploration méthodique des milieux politiques, vous voici le réalisateur d’un thriller aventureux fortement inspiré de Tintin. Qu’est-ce qui a motivé un tel changement ?
Je n’avais pas envie de me répéter. Lorsqu’on fait quelque chose au cinéma, on reçoit ensuite plusieurs propositions dans le même style. On m’a proposé de faire des films sur des ministres ou des députés, ce qui ne m’intéressait pas. Il y avait comme un malentendu : le monde politique ne me passionne pas en soi. Je ne m’intéresse qu’à certains sujets politiques, mais pas dans leur généralité. J’ai alors essayé de sortir de cette impasse, et c’est à ce moment que je relisais Tintin et revoyais des films d’Alfred Hitchcock des années 30. J’y ai relevé une certaine parenté qui m’avait donné envie de faire du cinéma quand j’étais plus jeune. J’ai alors eu envie de réaliser un film dans cette veine, sans tomber dans la copie ou le pastiche. De la même manière qu’on parle aujourd’hui d’une « comédie musicale contemporaine », je me suis demandé si je pouvais réaliser une comédie d’espionnage contemporaine.
Pourtant, même dans ce film, la politique reste importante : les personnages discutant entre autres de l’identité européenne et de la gauche. Pour vous, toute œuvre doit-elle nécessairement s’approprier un questionnement politique, même s’il est relégué au second plan ?
Je ne peux pas m’en empêcher. Je dois aussi avouer que la moitié des discussions que j’ai avec mes amis portent sur la politique. Il me semble qu’à un moment donné, plus jeune, je parlais beaucoup de films ou de livres avec mes amis, mais c’était éreintant. Lorsqu’on était en désaccord, il fallait utiliser des arguments et le ton montait. À l’inverse, je ne me suis jamais disputé en discutant de politique, même en cas de différend. De plus, lorsqu’on parle de littérature ou de cinéma —malgré quelques exceptions—, cela sonne faux et je suis comme embarrassé. Soit les gens racontent des bêtises, soit la discussion est très érudite et donne une impression d’entre-soi. À l’inverse, puisque tout le monde parle de politique, tout le monde dit des bêtises. Qui n’a jamais vu des films de Dreyer ne peut en parler, alors que les discussions politiques ont quelque chose de démocratique. Quand bien même mes personnages se perdent dans leurs débats, cela rejoint la réalité où tout le monde a le droit de raconter ce qu’il veut sur n’importe quel sujet.
Les personnages de votre film sont très représentatifs : leur apparence, leur manière de se déplacer. Vous dites que Tintin vous a beaucoup inspiré, comment avez-vous ensuite choisi des acteurs pour correspondre aux personnages de l’œuvre d’Hergé ?
Évidemment, Vincent Lacoste est Tintin mélangé aux héros des films d’Hitchcock des années 30. J’ai compris qu’il lui fallait un partenaire et en écrivant sa rencontre j’ai tout-de-suite entendu la voix de Sandrine et ai compris qu’elle imprégnait le rôle. Le procédé a donc été inverse à celui de Vincent : je suis d’abord parti de l’actrice et ai cherché quel héros ou héroïne de bande-dessinée correspondait le plus. J’ai alors trouvé qu’elle serait magnifique avec la silhouette de Corto Maltese.

La couleur est très importante dans ce film, surtout lorsqu’elle est très franche (les méchants et les lieux dangereux sont tous en rouge-sang). Pourquoi cette envie de transposer les codes d’un art littéraire et pictural au médium cinématographique ?
Je n’aime pas les références picturales trop nobles. Les films cherchant à imiter les peintures m’agacent. Même chez Stanley Kubrick, Barry Lyndon s’apparente à une succession de tableaux et n’ont pas d’impression de présence. Je pouvais m’inspirer des bandes-dessinées puisqu’il s’agit encore d’un art considéré comme « mineur ». De plus, mon chef opérateur (ndlr : Sébastien Buchmann) et moi n’aimions pas la tendance du cinéma numérique à saturer les couleurs. On voulait que les couleurs soient franches, que les rouges soient rouges, que les bleus soient bleus… On a travaillé sur l’expressivité des couleurs, en dépit de tout réalisme. Notre ambition était de se rapprocher au plus près possible d’une planche de bande dessinée, d’où l’utilisation du 35 millimètres : on ressent ainsi plus la matérialité de la pellicule comme on ressent celle d’une page.
Après le cinéma et la bande-dessiné, Le Parfum Vert fait aussi la part belle au théâtre : le premier meurtre est celui d’un acteur en pleine représentation, et à la fin un ennemi doit faire passer une information aussi en pleine représentation. Aviez-vous pour envie de combiner différents arts de la représentation ? Pourquoi les avoir associés à une intrigue policière ?
Je n’y ai pas réfléchi plus en profondeur. J’aime quand les films se déroulent dans des théâtres, et il me semblait intéressant que le personnage principal soit un comédien. Je ne voulais pas être exhaustif avec le théâtre ou la peinture. Il n’y a pas eu d’ambition consciente.
Vous mentionnez également les récits d’espionnage hitchcockiens dans vos influences, vous en transposez les archétypes dans un monde plus moderne. Était-ce l’une des visées du film ? Pourquoi cette envie de réaliser une « comédie d’espionnage contemporaine » ?
J’avais pour ambition de réaliser une comédie d’espionnage, un genre inventé par Alfred Hitchcock dans les années 30, et y incorporer des effets de contemporanéité sans qu’ils deviennent les thèmes centraux. Certes, mon film aborde Twitter ou encore les dangers de maison de bots, mais tout cela s’intègre à un climat d’avant-guerre similaire à certaines œuvres hitchcockiennes. Les nouvelles technologies sont présentes, mais restent secondaires.
En choisissant de reprendre les codes du film d’espionnage des années 30, vous vous exposez à la construction d’un rythme assez effréné. Aviez-vous depuis longtemps le désir de réaliser un film comme celui-ci : aux jeux de pistes multiples ?
Aucun de mes deux premiers films n’avait une volonté d’amusement. Alice et le maire avait la volonté de représenter Fabrice Luchini, un comédien très amusant, sans que cela aboutisse à un divertissement. Le Parfum Vert avait comme moteur de présenter l’ascension du fascisme en Europe mais sous un angle plus divertissant. Tout un pan du cinéma traite ce sujet avec légèreté, de Fritz Lang à Ernst Lubitsch, chacun plus doué en ce domaine que Hitchcock je trouve. D’un côté, Fritz Lang s’est plus inscrit dans le cadre du divertissement, et de l’autre Lubitsch reprend la comédie, dont To be or not to be représente un équilibre parfait entre le drôle et le tragique.
Vous alternez suspense et accalmie : vers les deux-tiers du film, les protagonistes s’arrêtent et se reposent, ils se font à manger et discutent de leur vie. Cette séquence se démarque complètement des films d’espionnage classique, comment l’avez-vous pensé ?
J’avais à la fois l’ambition de réaliser une œuvre classique et linéaire, jusqu’à ressentir une certaine lassitude. Si je ne construisais qu’une comédie très rythmée, je n’aurais abouti qu’à une forme de pastiche, et non du cinéma. J’ai donc eu envie d’être plus audacieux en intégrant en plein cœur d’une comédie d’aventure une séquence rohmerienne : des personnages qui discutent de leur vie pendant une dizaine de minutes. La réaction du public m’intéressait. Peut-être que certains trouveront cela barbant, alors que d’autres remarqueront et apprécieront le caractère insolite de la scène. J’ai toujours aspiré à cette forme d’audace discrète, qui ne se voit pas au premier abord. Je suis réticent face aux films qu’on qualifie de « révolutionnaires », avec « un avant et un après. » J’aime quand l’art ne se voit pas.
Propos recueillis par Mattéo Deschamps le 13 décembre, à Paris.