Nos soleils

Au cinéma le 18 janvier 2023

© Lluis Tudela

S’il n’ est pas question de cerisiers ni du déclin de l’aristocratie sous la Russie tsariste, difficile de ne pas entrevoir l’ombre de Tchekhov et de sa Cerisaie dans Nos Soleils de Carla Simón (Ours d’or 2022), nouveau récit familial, estival et de deuil après Été 93, pour lequel la cinéaste espagnole avait déjà remporté un prix – le meilleur premier film – à la Berlinale. Ici, la famille de Lioubov laisse place aux Solé et leurs champs de pêchers au village d’Alcarràs, en Catalogne, menacés par un projet plus rentable de panneaux solaires.

Tandis que chez Tchekhov la nouvelle classe bourgeoise et sa modernité viennent mettre en péril l’ordre aristocratique, c’est ici la vie agricole, humble et authentique, qui apparaît dévorée par un capitalisme qu’on dirait vert-ueux. En faisant d’un tel projet l’élément déclencheur de son récit, Carla Simón atténue judicieusement sa résonance politique, ponctuellement ravivée lors d’une séquence de manifestation paysanne, pour exalter son ampleur intime et universelle : le drame du changement et de la disparition.

Très rapidement, l’hypothèse d’une intrigue sur la lutte pour la sauvegarde du domaine est évacuée. D’abord filmés de dos, les adultes paraissent vaincus. Assis au milieu d’eux, le patriarche Rogelio, silencieux, déphasé, n’a pas de titre de propriété ; le vieux Pinyol lui avait offert ces terres sur parole, selon l’usage de l’époque. Sans contrat, aucun espoir de discussion avec le fils Pinyol ; « à la fin de l’été, il faudra dégager ». Ce sont alors les réactions de chacun, dans une famille sans cesse proche de s’atomiser, qui fondent l’action du film.

Au gré de sa forme chorale, la caméra glisse d’un point de vue à un autre, auscultant les relations, les nœuds d’incompréhension et les états d’âme de ses personnages : la résignation du grand-père, étranger à l’air du temps ; les aspirations et les désirs contrariés des adolescents ; ou encore l’agitation du père, Quimet, chef de l’exploitation, dont la nervosité irrépressible n’exprime qu’une douloureuse impuissance. À l’abattement des adultes, mêlée d’une crainte de l’avenir, la petite Iris et ses deux cousins opposent une éclatante vitalité, puisant dans la force créatrice de leur imagination qui, elle seule, permet de conjurer l’idée de la fin dont ils font eux aussi l’expérience.

Mais c’est bien ce sentiment funèbre qui l’emporte et bouleverse, né de l’impression patente que chaque plan capte un dernier moment. Ce climat diffus de mélancolie procède d’un travail subtil de la lumière, d’une esthétique de ses ambivalences qui dégage des rayons du soleil une chaleur plus placide que torride, aux tons sobres, presque froids, qui incarnent sensiblement le caractère ultime des gestes effectués dans un monde déjà passé. L’essentiel du talent singulier de Carla Simón transparaît magnifiquement dans cette faculté d’exhumer du lyrisme, des échos élégiaques, avec les moyens les plus secs, les plus rudimentaires. Une alchimie secrète dont Nos soleils tire sa beauté, vive comme la douceur éphémère d’une étoile finissante.

Nos Soleils / De Carla Simón / Avec Jordi Pujol Dolcet, Anna Otin, Xènia Roset, Albert Bosch / Espagne / 2h00 / Sortie le 18 janviers 2023.

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