
Astrakan, le premier long-métrage de David Depesseville est un conte surprenant sur l’enfance. Construite autour du jeune Samuel, le cinéaste nous livre une œuvre éthérée, délicate et violente. Il collabore pour la premier fois avec Bastien Bouillon. L’acteur nommé cette année aux César, interprète le père adoptif de Samuel.
Astrakan file la métaphore animale : de par son histoire qui s’inspire de différents contes et son titre. Qu’est-ce qui vous a plu dans cet imaginaire ?
David Depesseville : J’aimais l’idée du conte pour parler de cet enfant qui doit trouver sa place dans une famille étrangère. Le titre Astrakan évoquait déjà le mouton noir ou le canard boiteux. Jusqu’à cette séquence finale d’ailleurs, qui file effectivement cette métaphore avec l’apparition de l’agneau et Marie qui devient enfin une vraie nourrice en lui offrant sa poitrine.
Tout comme le conte enrobe de fantastique des histoires difficiles, la pellicule elle aussi adoucit les images. Pourquoi ce choix du 16mm ?
DD : C’est venu très tôt avec mon chef-opérateur : il nous est apparu que penser cette histoire en HD était bizarre. Il y avait quelque chose qui me gênait, j’avais peur que ce soit trop cru, trop défini. Cela pouvait virer plus facilement à l’obscène. Alors qu’en 16mm, avec son grain si particulier, ses contours un peu flous y’avait quelque chose de plus juste pour raconter les choses fortes que je voulais évoquer.
Bastien Bouillon : Cela servait aussi à soutenir une esthétique quasi-atemporelle, que ce soit dans les costumes ou dans les décors ; rien n’est prononcé, rien n’est ancré. De la même manière que pour l’argent à un moment on croirait voir une pièce de 5 francs puis c’est un billet de 5 euros. Ce flou dont tu parles avec le 16mm est quelque chose que tu étires tout au long du film.
DD : Il ne fallait pas assigner le film à une condition et l’y enfermer. Il y avait quelque chose de réduit si on l’ancrait dans telle époque ou tel lieu. Je voulais échapper au film « social » comme on l’entend, la pellicule participait à ça.
Le cadrage élude effectivement les repères et s’attarde souvent sur le visages des comédiens, en très gros plans. Qu’est-ce qui vous a séduit dans le visage de Bastien Bouillon ?
DD : Tout d’abord c’était sa voix, que j’aime beaucoup. Bastien est sur le projet depuis très longtemps et aux premiers essais, en le filmant, je me suis aperçu qu’il y avait quelque chose de doux. Il apportait une certaine douceur à ce personnage, tandis qu’à la lecture du scénario on aurait pu s’attendre à un couple de Thénardiers.
Bastien, vous étiez étonné qu’on vous propose ce rôle ? Vous interprétez souvent des personnages plus jeunes, plus citadins.
BB : Une des premières choses que j’ai du dire à David en lisant le scénario, c’était de lui demander si ça ne ferait pas trop étrange que le personnage mette ses lunettes sur le bout de son nez pour faire des mots croisés. Je suis honoré d’avoir à jouer un père, j’ai des enfants depuis longtemps mais étant donné que je fais assez juvénile on ne me propose pas souvent ce type de rôles. Mais là les lunettes et les mots croisés c’était vraiment jusqu’au boutiste ! (Rires). Finalement, un film comme ça, il faut accepter de rentrer dans la vision du réalisateur. Quand j’ai lu le scénario de David j’y ai vu ses envies de cinéma, son geste. Il faut accepter d’être, et ça n’est pas péjoratif, utilisé. Sans non plus faire le rapprochement avec Bresson, le cinématographe et les modèles, il faut savoir servir le metteur en scène.
Il y a souvent un besoin presque vital de la part d’un cinéaste qui réalise son premier film. Est-ce qu’il s’agit de projets que vous recherchez activement ?
BB : Oui, j’adore les premiers films. Nous n’avions jamais travaillé ensemble avec David mais je savais que c’est un projet de longue haleine. Il y avait effectivement quelque chose de l’ordre de la nécessité pour lui. Donc à ce moment là, c’est un choix de venir épauler un premier film. Et je ne suis toujours pas bankable donc je ne parle pas de rapporter des financements mais d’épauler dans le sens noble, le sens artistique !
C’est aussi le premier film de beaucoup de comédiens qui y apparaissent puisque de nombreux rôles sont joués par des enfants. Comment s’est déroulé le tournage ?
DD : Il n’y a pas de méthode particulière pour travailler avec des enfants. Je voulais partir de ce qu’ils sont. Lors des castings, il n’était pas vraiment question de bien jouer ou mal jouer mais plutôt de partir d’une manière de se mouvoir, de parler, d’un visage. Mirko, qui interprete Samuel, est très sportif, or je cherchais un gymnaste car je sais que c’est encore une autre façon de se déplacer. C’était ces choses là qui m’intéressaient. Et cela ne me dérangeait pas qu’il y ait quelque chose d’un peu faux dans le jeu car venant d’un enfant ça peut sonner juste. Comme on était en petite équipe, tout le monde était très impliqués avec eux. Bastien et Jehnny étaient très présents aussi.
BB : Il ne faut jamais oublier que ce sont des enfants pour leur permettre d’avoir leur rythme personnel mais David ou Jehnny ou moi, nous avions une manière de les englober dans le projet comme tout membre de l’équipe, il n’y avait pas d’infantilisation.
DD : Ils avaient une très grande compréhension du projet. Ils avaient lu le scénario avec leurs parents, nous l’avions lu ensemble et j’étais ouvert à toute éventuelle question. Tout cela avait été préparé en amont, ce qui fait que pendant le tournage, la confiance était déjà instaurée et tout a été relativement fluide. Cela faisait peur à certains de tourner en pellicule avec des enfants parce qu’il allait falloir refaire de nombreuses prises mais justement, j’aimais bien cette contrainte là.
Bastien, vous travaillez souvent avec les mêmes réalisateurs. Qu’est-ce que ces expériences répétées permettent ? Seriez-vous prêt à travailler de nouveau avec David ?
BB : Les premières fois, il n’est même pas question de savoir si on s’aime mais surtout de si on se comprend. Si on comprend où l’autre a envie d’aller. De la même manière que sur un tournage, les premiers jours il faut trouver ses marques, ses réflexes, ses façons de communiquer. Et parfois, mais pas toujours, à la fin du tournage les choses vont un peu plus vite. Donc en multipliant les expériences on peut parvenir à se comprendre, presque sans se parler.
DD : Bastien est un comédien que j’aime beaucoup. C’était vraiment facile de travailler avec lui ; d’ailleurs, je n’ai pas le souvenir de l’avoir beaucoup dirigé. Ça pouvait même être un peu perturbant pour lui parce que je ne lui disais pas grand chose après les prises ! Mais c’était une direction assez physique en fait, plus que psychologique.
Bastien, je me permets de vous féliciter pour votre nomination aux César. Nous parlions à l’instant de l’enfance, vous êtes nommé dans la catégorie « meilleur espoir », vous sentez-vous rajeunir depuis cette annonce ?
Tout à fait ! (Rires) En fait, on peut être nommé trois fois dans la catégorie « révélation ». Or les deux premières fois, je n’avais pas été dans la suite de l’aventure, je n’avais pas transformé l’essai. Donc je suis très content et je garde l’espoir !
Propos recueillis par Chloé Caye, le 30 janvier 2023 à Paris.