Le Retour des hirondelles

Au cinéma le 8 février 2023

© Qizi Films Limited

Les vingt dernières années ont vu le cinéma chinois taraudé par une modernité destructrice conjointe à une crise des valeurs, que porte un capitalisme à l’expansion démesurée dont la défiguration des paysages, par les projets d’urbanisme effrénés, est un saisissant stigmate. Plusieurs cinéastes tels que Jia Zhangke ou Wang Bing se font les témoins de cette « époque de la ‘démolition’ » (Raphaël Szöllösy in Les Cinémas d’Asie), tant urbanistique que culturelle. Un regard que Li Ruijun continue de creuser avec Le Retour des hirondelles, sur un pôle plus lointain, aux confins de la Chine rurale, dans la région du Gansu.

Sur cette terre âpre et reculée, on recourt encore au mariage forcé. Un hiver, Ma Youtie, paysan calme et sensible, exploité par son frère aîné qui le méprise, et Cao Guying, fébrile et rendue incontinente par des années de maltraitance physique, sont unis selon la seule volonté de leur famille. L’affaire est entendue au cours d’un déjeuner dont les deux indésirables sont écartés. De la contrainte naît une histoire d’amour, de tendresse réciproque, préservée des remous des passions par la pureté, la simplicité de leurs sentiments qui n’a d’égal que celle de leur rapport au monde. Sans pittoresque, sans emphase, sans idéalisation épidictique de l’éthique et de la vie rurale, Li Ruijun restitue la noblesse du labeur agreste à travers une poétique de l’humilitas (de humus : la terre), économe en effets, s’incarnant visuellement dans les tons sablonneux et crépusculaires de l’image, ou dans le cadrage des paysages qui rehausse la place de la terre.

Il y a un peu de Kelly Reichardt dans cet attrait prononcé pour ce que le récit élide ordinairement, cet attachement minimaliste à filmer les moyens plutôt que les fins, les manières et la durée de l’agir plutôt que les actions. L’attention rigoureuse portée aux gestes quotidiens, prosaïques et agricoles, montrée à la cadence des saisons, accompagne un mouvement créateur, que figure la construction de la nouvelle maison du couple, après leur délogement contraint. Mais Ma Youtie et Cao Guiying, comme deux hirondelles, apparaissent voués à perdre leur chez-soi, exilés dans leur propre monde sans relâche menacé par cette « époque de la démolition ». Les transfusions sanguines répétées de Ma Youtie, pour sauver la vie d’un propriétaire dont dépend la survivance économique des cultivateurs, connote l’état d’une campagne vampirisée, lentement dévitalisée sous l’empire du profit immédiat.

Sans bruit, tout en délicatesse, Le Retour des hirondelles émeut par sa mélancolie et révolte par l’impuissance qu’il exprime face au poids d’un inéluctable. Preuve de plus, s’il en fallait encore, que le refus du mélodrame est toujours fructueux, pour peu que l’on ait foi en la puissance de son sujet et de sa mise en scène. Cette puissance du geste de Ruijun, bien que discrète, a semble-t-il suffit à gêner la Censure chinoise qui, si elle s’est permise sur son territoire d’enjoliver la fin du métrage, aura échoué à effacer les traces de ses politiques agressives et d’un mode de vie ancestral à l’agonie.

Le retour des hirondelles / De Li Ruijun / Wu Renlin, Hai-Qing / Chine / 2h13 / Sortie le 8 février 2023.

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