
Steven Spielberg revient un an après son remake de West Side Story avec The Fablemans. Allant cette fois-ci un cran plus loin dans la nostalgie, le cinéaste s’attelle à conter sa propre enfance pour y déceler les prémices de sa vocation.
Il aura donc fallu presque soixante ans à Spielberg pour aborder frontalement un sujet pourtant plus que prépondérant dans sa filmographie : son enfance. Non pas une idée d’enfance en général, qui traverse aussi bien les récits que leur mise en scène dans son cinéma, mais bien celle de sa propre enfance. Cette force qui semblait le pousser à retrouver et apprivoiser son propre regard d’enfant, ébahi devant soldats, espions, dinosaures, aventuriers… Une sorte d’approche profondément ludique, quasi circassienne du cinéma, celle d’un grand spectacle, d’un lieu et d’un moment réitératif, où l’on projette ses fantasmes les plus impossible. C’est donc cette mystique du cinéma spectacle qu’aborde The Fabelmans, celle du lieu de l’émotion primaire. Toute l’œuvre du cinéaste pourrait être aussi, d’une certaine manière, qualifiée d’exploration ludique, à la première personne, la différence résidant ici dans le genre explicitement biographique du récit.
Une première question flotte alors dans nos esprits : comment le maître du cinéma-spectacle pourrait-il aborder si intimement son amour pour le spectacle ? Là est le tour de force du cinéaste, faire d’un film sur le spectacle un film presque anti-spectaculaire. Plutôt que de définir un événement, peut-être un film, un choc qui l’aurait poussé à créer, plutôt que d’offrir une mise en abîme de tournage spectacle, Spielberg fait le choix de la finesse. C’est bien le cours des affects qui intéresse le cinéaste, plus qu’une chronologie factuelle (choix semblable à celui de Paul Thomas Anderson pour Licorice Pizza, film ô combien nostalgique lui aussi). Spielberg ne se raconte pas, il retrouve ses sensations, met en scène sa vie, sa famille, ses tiraillements, ses choix avec l’exacte justesse de la sincérité et la force d’un regard en perpétuelle extase, quasi naïve.
Enfin il les magnifie, avec le concours de ses fidèles frères d’art : Janusz Kamiński à la photographie, John Williams à la musique, Rick Carter aux décors… Du pur Spielberg dans la forme, rodée et précise, qui sait encore se réinventer et nous toucher là où l’on ne l’attendait pas forcément. Un cri du cœur adressé au cinéma, mais surtout à la création en général, bien loin du mythe de l’artiste tout puissant, tandis que tout se joue ici entre égoïsme et sacrifice. Loin du mythe, mais c’est bien toute une mythologie hollywoodienne qui trouve en quelque sorte son apogée émotionnelle.
S’il n’est nul besoin de dévoiler intrigue ou synopsis, tant chaque situation paraît universelle, dévoilons en revanche une belle surprise (en partie seulement, ne vous en faites pas) : un certain David Lynch y trouverait l’un de ses rôles les plus iconiques…
The Fabelmans / De Steven Spielberg / Avec Gabriel LaBelle, Michelle Williams, Paul Dano / 2h 31min / U.S.A / 22 février 2023