
Dans le quartier sombre de la Goutte d’or à Paris, capturé dans le méandre de la nuit, se niche un petit cabinet de médium, celui de Ramsès, trente-cinq ans, qui prétend, au milieu de bougies à la flamme vacillante, parler avec les morts. De nombreuse âmes en peine, prêtes à tout pour saisir quelques mots de défunts disparus, affluent dans son cabinet où, en poète habile, manipulateur, véritable charlatan, il récupère des informations personnelles pour les recracher sous les yeux ébahis de son public.
Son commerce prospère, jusqu’au jour où un gamin de Tanger, chien-loup de la ville, insaisissable, libre comme le vent, lui vole son talisman dans son immeuble sale et sordide. Plus tard, alors que les lumières tapissent de rouge, de blanc, de jaune, les trottoirs mouillés d’un chantier – celui que l’on voit dès les premiers plans du film, qui viennent comme annoncer ce que sera le destin du protagoniste, avec une machine à dents de fer qui soulève la boue collant au sol, véritable monstre citadin qui engloutit tout sur son passage – il découvre, par le biais du hasard ou d’une véritable vision, le corps mort du petit garçon. Il en témoigne au groupe de bambins qui voulait s’en venger, et se retrouve pris à partie en tant que « mage », prophète à l’heure où tous ont disparu.
Cogitore possède l’habileté d’éviter tout jugement de valeur sur son protagoniste, mettant en lumière la dichotomie auquel se dernier fait face : sa nuisance s’accompagnant d’effets réparateurs. Il dresse le portrait et une observation fine de ces quartiers sensibles où la survie est de mise, où la débrouille, les petites magouilles en tout genre – que ce soit celle de Ramsès autant que celle des enfants de Tanger – sont de mise. Sur fond de chronique sociale, le cinéaste questionne nos rapports à la croyance, qu’ils soient la conséquence d’un manque affectif, d’une souffrance psychique comme physique, ou de quelque chose de plus sourd, telle la naïveté désarmante avec laquelle les bambins le croient. Cogitore offre au passage un beau présent à Karim Leklou avec ce rôle complexe, tout en contrastes et en profondeur, entre magnétisme, aversion et empathie.
Goutte d’or / De Clément Cogitore / Karim Leklou, Jawad Outouia, Elyse Dkhissi/ France / 1h38 / Sortie le 1er mars 2023