El Agua

Au cinéma le 1er mars 2023

© Les films du Losange

Dans un village perdu dans les replis des montagnes espagnoles, Ana et sa bande de copains passent l’été dans la fièvre des légendes qui hantent l’imaginaire. Ils s’ennuient, s’aiment, se désirent, fument – beaucoup -, alternent entre fêtes improvisées dans des bars aux lumières bleues-pourpres et désœuvrement. Au loin se murmure la promesse d’une tempête qui menace de faire déborder la rivière réveillant la croyance selon laquelle une jeune femme, toute de blanc vêtu, aurait disparue après que le fleuve l’eut désirée amoureusement. Ana, dont la famille, de mère en fille, demeure maudite, selon les dires des habitants, craint la montée des eaux, redoute que le liquide transparent de la rivière n’entre en elle.

Des témoignages face caméra donnent une identité presque documentaire au film, attestant de cette croyance populaire, déversant leur récit plein de mysticisme dans le creux des oreilles d’Ana, tradition orale perpétuée dans la chaleur étouffante de l’été. De longs travellings avant sur le lit du fleuve viennent donner une teinte fantastique aux images, qu’accentuent le brouillard qui s’élève du lit calme, la végétation luxuriante, et un ciel annonçant le futur désastre. Autant d’éléments qui apportent avec eux une manière d’embrasser la rivière. De la personnifier. En est-il de même des tatouages sur les bras des travailleurs de l’orangeraie où œuvre, sous le regard dur de son père, José, le petit ami d’Ana, qui arbore un immense dessin de la vierge Marie, sainte parmi les saintes qu’Ana se plaira à observer dans la grande église où elle entre par une nuit éveillée, alors que la messe de l’eau et les chants des croyantes – toutes des femmes – se hissent le long des hauts murs teintés de vitraux du bâtiment.

El Agua est un récit féministe, traitant du chamboulement de l’adolescence (Ana n’a que dix-sept ans), des premières amours, de la volonté de s’émanciper d’un pays, bled sans nom où il n’y a rien à faire – mis à part un café qui sert ses trois clients quotidiens – des habitants qui s’observent, se jalousent, crachant rumeurs grandissantes et rancœur. C’est une mise en scène poétique qui vient comme créer un parallèle entre la fièvre d’un fleuve prêt à déborder, ses remous, ses ravages, son appétit grandissant, et l’impétuosité séductrice d’Ana, vivante, sauvage, brûlante, telle la chaleur qui s’empare des adolescents dans le vide de l’été sans fin. Personnages en voie de disparition, Ana et ses amis signent le déclin de l’innocence qui s’émiette dans le monde des adultes ; les femmes au foyer, sa mère et sa grand-mère, aimantes, compréhensives, apparaissent furtivement avant de retourner dans l’univers brutal de la réalité. 

Mythe électrique, El Agua est une fable magique sur la banalité du quotidien, et la rêverie poétique qu’inspire le vieux récit perpétué de génération en génération sur les amours tragiques d’un fleuve vibrant comme les actrices du film, dans le cocon de l’écran.  

El Agua / De Elena Lopez Riera / Luna Pamies, Barbara Lennie, Nieve de Medina / Espagne, Suisse, France / 1h44 / Sortie le 1er mars 2023

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