Le Ciel rouge

Actuellement au cinéma

© Les Films du Losange

Léon et Félix se rendent en vacances dans une maison sur la côte. Du moins, c’est ce que tout le monde pense mais Léon, lui, n’est pas en vacances, il doit terminer d’écrire le manuscrit de son livre et il a rendez-vous avec un éditeur dans quelques jours. Or ses studieuses ambitions vont se heurter non seulement à la présence d’une troisième invitée dans la maison mais aussi aux incendies qui sévissent dans les forêts alentours, se rapprochant dangereusement.

Le début du Ciel rouge a des airs de La Collectionneuse d’Éric Rohmer, les deux jeunes hommes sont dérangés par l’intimité envahissante de leur mystérieuse colocataire. Tandis que Félix s’en moque, voire s’en amuse, la frustration de Léon se manifeste par un mépris glacial. Mais la caméra de Christian Petzold capte, au plus proche des visages des personnages, l’ambiguïté de leur ressenti : les contradictions amicales et les désirs involontaires. Léon comme l’arroseur arrosé est un voyeur observé. Lui observe à travers les fenêtres alors que le spectateur, à son tour, le regarde à travers les quatre bords de l’écran. Il y a les corps qu’on ne dévoile pas, les corps qu’on voit, les corps qu’on admire, les corps qui flânent et ceux qui se fanent. 

Ces personnages, ces corps ou ces émotions isolées sont voués à entrer en contact les uns avec les autres, à s’embrasser et à s’embraser. C’est cet instant de collision verbale ou physique que Christian Petzold parvient à filmer si finement. Le Ciel rouge capte ce passage décisif entre le moment où l’on regarde et celui où, enfin, on tend la main pour toucher ; comme les baigneurs qui regardent, absorbés, la mer avant de s’y baigner. Les personnages de Petzold, eux aussi, s’observent pour mieux pouvoir s’enlacer et l’alchimie entre Thomas Schubert et Paula Beer est bouillante.

Mais de ce postulat, à première vue léger, se dégage le constat d’une réelle urgence : car à l’opposé de la mer apaisante et sensuelle, le feu décime tous les êtres sur son passage. Pour chacun de ces personnages existe une échéance (professionnelle ou personnelle) et le moment venu, contempler ne suffira plus, il faudra avoir dit, il faudra avoir agi. Le réalisateur nourrit cette seconde intrigue autour des feux de forêts comme un rappel brûlant que la date d’expiration n’est plus très loin. Que, bientôt, les corps jeunes, les esprits intacts et leurs ambitions passionnées s’illumineront et brilleront jusqu’aux cendres.

Le Ciel rouge est un film doux-amer, plein d’humour et empreint de mélancolie. Un film sur la perte de l’insouciance et sur l’immense courage que demande la conquête de la beauté. Un film à l’âme ardente.

Le Ciel rouge / De Christian Petzold / Avec Thomas Schubert, Paula Beer, Langston Uibel, Enno Trebs et Matthias Brandt / Allemagne / 1h43 / Berlinale 2023 / Au cinéma le 6 septembre 2023.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 0630953176

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