
Aux récentes œuvres cinématographiques iraniennes, s’associe une caractéristique commune dans la manière dont elle est représentée à l’écran : celle de la déambulation, du transport. À chaque fois, le moyen de locomotion permettant ce mouvement s’extirpe de sa simple qualité pratique pour se hisser au rang de révélateur narratif, comme un personnage à part entière de l’histoire, mettant en lumière toute sa teneur significative.
On retient le motif de la voiture, moyen échappatoire dans le film de Panahi-fils, Hit the road, comme dans celui de Panahi-père, Aucun Ours – avons-nous également besoin de citer, en prenant quelques années de recul, l’importance des traversées automobiles chez Kiarostami ou même l’œuvre qui valu à Jafar Panahi son Ours d’Or en 2015, Taxi Téhéran. Dans Les Nuits de Mashhad, poignant long-métrage de Ali Abbasi, nous retenons également la déambulation grondante du criminel sur son deux-roues. Ce même moyen de locomotion intervient dans le premier long-métrage de Emad Aleebrahim Dehkordi, alors que nous retrouvons un intérêt tout particulier porté au mouvement du protagoniste dans l’espace.
Un bruit fracassant accompagne la première image de Chevalier noir : il ne s’agit pas du son des lourdes chaînes d’un pont-levis mais celui d’une porte de garage s’ouvrant violemment. Le son interpelle déjà le spectateur, symbole de menace, de danger. Iman, à moto, rentre chez lui. Il coupe le moteur. Dans cette séquence introductive, alors que dans un plan large surplombant pourtant les scintillantes lumières de la ville, le jeune homme s’élève, par contrainte. Sans ses clefs, il entre par effraction dans sa propre maison, et son père de lui répéter que sa fâcheuse habitude ne fait que « montrer le chemin aux voleurs ».
Iman et Payar vivent avec leur père à Téhéran. Les modes de vie des deux jeunes hommes s’opposent en tous points. Quand Payar cherche à s’inscrire dans le modèle social prédominant, Iman s’enlise dans un trafic de drogue lui permettant de soutenir sa famille financièrement. Des points de vu de la moto, véhicule que notre protagoniste partage avec son frère, nous donnent déjà des indices de l’importance dramatique de l’objet. Mais la nuit, sur leur monture, dans les rues de la ville, les frères se confondent pourtant.
Iman gravit à présent les propriétés des autres pour y régler ses comptes. Il perd petit à petit la maîtrise de son véhicule instable par essence, synonyme déjà de la chute de notre personnage. La drogue ronge le jeune adulte, il perd l’équilibre. Aleebrahim Dehkordi s’inscrit dans la lignée de ses contemporains et nous offre à son tour un portrait de la société et de la jeunesse iranienne. Vainqueur du Grand Prix au Festival Premiers Plans d’Angers en ce début d’année 2023, ce premier long-métrage, d’un réalisateur que nous imaginons biberonné aux œuvres de Gaspar Noé, est absolument bouleversant.
Chevalier noir / De Emad Aleebrahim Dehkordi / Avec Iman Sayad Borhani, Payar Allahyari, Masoumeh Beygi / France, Iran, Allemagne, Italie / 1h42/ Sortie le 22 février 2023.
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