Le Bleu du caftan

Actuellement au cinéma

© Ad Vitam

Dans l’arrière-boutique, Halim travaille le tissu. L’étoffe bleue coule entre les doigts de l’homme, fraîche et légère, et la caméra s’attarde sur la douceur avec laquelle elle est touchée, caressée, sur la bobine de fil d’or posée par-dessus. Maryam Touzani déplie son film de la même manière : lente et délicate, elle laisse le temps aux personnages de nous révéler des profondeurs et une humanité insoupçonnés.

Halim est maalem, maître artisan d’un art qui se perd. Il refuse de travailler à la machine, malgré les commandes qui s’empilent et les clientes qui se plaignent. Sa femme, Mina, gère la boutique d’une main de fer, maniant les compliments et les menaces avec dextérité. Quand Youssef est embauché comme apprenti pour aider Halim, on craint de voir l’équilibre détruit, les relations chamboulées, d’autant plus qu’une nouvelle commande est passée : un caftan bleu aux broderies d’or, une pièce chère qui s’annonce être la plus belle qu’Halim ait jamais faite, mais que la cliente s’impatiente de voir finie. Si la situation initiale semble simple et le déroulement des événements prévisible, Le Bleu du caftan déjoue toutes les attentes et nous livre une histoire touchante d’amours non conventionnels.

C’est dans le secret de l’arrière-boutique que le désir se crée. Maryam Touzani s’attarde sur les gestes les plus petits, les plus discrets – une aiguille passée dans un tissu, une main se posant sur une autre pour guider des ciseaux maladroits, deux doigts se frôlant dans la chaleur d’un sauna. Les rencontres qu’Halim fait dans les bains publics avec d’autres hommes sont factuelles, vite expédiées, de simples affaires corporelles. Entre Youssef et lui, au contraire, le désir prend le temps de se former, de grandir, alimenté par de nombreux regards et de rares étreintes. La sensualité refoulée d’Halim infuse tout le film, se manifeste à travers les plans sur les étoffes qui débordent de chaque étagère de la boutique, qu’Halim touche et manipule avec révérence, les lissant, les brodant, les exposant comme s’il s’agissait du corps d’un amant.

C’est cependant le personnage de Mina, jouée par Lubna Azabal, qui reste gravé dans les esprits. Fière, forte, Mina s’invite dans les espaces des hommes avec aplomb, marche seule dans les rues de la médina, et reste digne même au plus fort de sa maladie. Quand une voisine se plaint de la musique d’un marchand de rue, Mina se met à danser à la fenêtre, riante et provocatrice. A côté, Halim est doux, réservé, dévoué à son art et incapable de gérer le dialogue avec ses clientes. Dans ce couple, au premier regard mal assorti, la complicité est bien plus profonde qu’il n’y paraît. Si Halim désire les hommes et si Mina désire Halim, les deux s’aiment réellement, d’un amour qui se révèle toujours plus vrai et plus pur alors même que la maladie terrasse Mina. Il faut du temps à Youssef pour comprendre la réalité de ce lien qu’il est progressivement invité à rejoindre. La relation qui s’installe alors entre les trois protagonistes est faite d’actes de dévotion sans attente de récompense, d’amendes pour des fautes commises sans demande de pardon. La multiplication des gros plans sur les visages des personnages nous amène au plus proche d’eux, nous plonge avec respect dans l’intimité de leurs souffrances, de leurs sourires, de leurs amours, de leurs désirs. Et si la fin peut paraître un peu mièvre, elle est cependant un dernier défi et un premier pas au-dehors de cette intimité, certes douce, mais à laquelle ces personnages sont constamment confinés : le bleu pétrole éclatant du caftan qui traverse les rues calmes de la médina est une dernière provocation de la part de trois personnes qui ont décidé de rester fidèles jusqu’au bout aux couleurs de leur amour.

Le Bleu du caftan / De Maryam Touzani / Avec Lubna Azabal, Saleh Bakri, Ayoub Missioui / Maroc / 2h02 / Sortie le 22 mars 2023.

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