
Coup de génie promotionnel pour Rebecca Frecknall qui offre le rôle de Stanley Kowalski à Paul Mescal, quelques semaines avant que celui-ci soit nommé aux Oscars. La pièce débute à guichets fermés et se termine par une file de spectateurs devant l’entrée des artistes, désireux d’échanger quelques mots avec l’acteur d’Aftersun. La foule est au rendez-vous, le buzz est assuré et la pièce obtient facilement ses prolongations dans le West End Londonien.
Pourtant, il faut bien admettre que rien dans cette production d’Un Tramway nommé désir ne méritait tant d’engouement. Mescal affiche un physique imposant pour son rôle de brute mais pectoraux et abdominaux saillants ne suffisent pas à rendre un personnage crédible. D’autant plus que la force de l’homme est contredite par la posture délicate et le phrasé doux du jeune acteur. Les hausses de ton sont équivalentes aux retraits de t-shirt : elles laissent transparaitre une violence superficielle, dérisoire. Face à lui, Patsy Ferran peine également à convaincre en Blanche Dubois. La beauté vieillissante, protagoniste de la pièce de Tennessee Williams n’a ici rien d’une beauté ou d’une femme vieillissante. Ce désir de rajeunir ses interprètes, de gommer l’extrême en eux ne rend ni la pièce plus actuelle, car elle n’a pas besoin d’artifices pour l’être, ni les personnages plus identifiables, seulement plus fades.
Une premiere rupture s’effectue donc entre l’écriture des personnages et leur representation et, déjà, une impression de fausseté en découle. Ce manque d’intensité et de sincérité se retrouve également dans la mise en scène : la composition du plateau convenait sans doute parfaitement à la scène de l’Almeida mais se perd sur celle, plus grande, du Phoenix Theatre. Dans une scénographie très en vogue (voire trop), une scène surélevée se distingue sur la scène du théâtre et lorsque les personnages y montent, ils sont dans l’enceinte de la maison de Stanley et Stella, à l’intérieur de laquelle, il n’y a absolument rien. Dispositif, ici, quelque peu paresseux alors que la construction de l’espace est, dans la pièce originelle, tout à fait centrale. La maison est sans mur : les chambres sont séparées par un rideau, l’intimité de Blanche peut être épiée par Stanley et les paroles se perdent, s’entendent et se déforment d’une pièce à l’autre. Seul lieu isolé : la salle de bain, où Blanche passe la majeure partie de son temps. Dans la mise en scène de Rebecca Frecknall, rien de tout ça. Le plateau est vide, l’espace laissé béant. Un musicien joue parfois des rythmes jazz sur une batterie : des coups de baguettes qui se substituent aux coups de poings. Et des chorégraphies aléatoires se glissent ici et là pour figurer les souvenirs des personnages. Une structure scénique plutôt engourdie et un travail sur le mouvement peu significatif.
Aucune force n’émane de cette production d’une œuvre qui n’en manque pourtant pas : tout ce qui fait la beauté cruelle de la pièce de Williams n’est jamais joué ou montré, seulement dit ou imaginé. Peu captivés, on ne peut alors s’empêcher de repenser, puis comparer à l’excellente création de Benedict Andrews il y a quelques années au Young Vic : une mise en scène d’une sublime férocité, avec une étourdissante Gillian Anderson en Blanche Dubois. Impossible à oublier !
A Streetcar named desire de Tennessee Williams / Mise en scène de Rebecca Frecknall / Avec Patsy Ferran, Paul Mescal, Anjana Vassan et Dwayne Walcott / 2h50 / Du 20 mars au 6 mai au Phoenix Theatre.