
La dernière fois qu’on avait vu l’œuvre de Pina Bausch au cinéma, c’était dans Les Rêves dansants (2010) et Pina (2011), deux films distribués peu après la mort prématurée de la chorégraphe en 2009. Depuis, son travail a continué de rayonner grâce aux anciens danseurs de sa compagnie qui assurent la survie de ses pièces en les enseignant à diverses compagnies professionnelles dans le monde. Dancing Pina suit le travail de transmission récemment entrepris pour Iphigénie en Tauride et Le Sacre du Printemps, deux des premières pièces de Pina Bausch.
Deux salles, deux ambiances. À Dresde, en Allemagne, les danseurs de la compagnie du Semperoper apprennent Iphigénie en Tauride auprès de Malou Airaudo et Clémentine Deluy, tandis que près de Dakar, au Sénégal, l’École des Sables réunit des danseurs de quatorze pays africains pour reprendre Le Sacre du Printemps avec l’aide de Jo Ann Endicott et Jorge Puerta Armenta. On retrouve quelque chose de l’essence de l’œuvre de Pina Bausch dans ce champ-contrechamp entre l’Allemagne et le Sénégal. En effet, la chorégraphe a souvent quitté Wuppertal pour partir en résidence à l’étranger et créer de nouvelles pièces dans un dialogue avec le pays qui l’accueillait. Bien que le montage alterné entre les deux entreprises perde en force à mesure qu’il se systématise, il tisse un dialogue intéressant entre les deux compagnies. Lorsque l’on quitte Dresde pour Dakar, la froideur chromatique des studios du Semperoper, éclairés par la lumière blanche des néons, cède à la chaleur de la lumière naturelle qui s’infiltre dans les espaces de répétition de l’École des Sables. Les barres et les miroirs de Dresde sont remplacés par les studios en plein air de Dakar. Les deux projets se distinguent également par la nature des variations enseignées par les répétiteurs. À Dresde, on suit surtout l’interprète d’Iphigénie, tandis qu’à Dakar, la chorégraphie du Sacre du Printemps implique systématiquement un travail de groupe. Ce qui rassemble ces deux compagnies qui ne se croiseront jamais, c’est la rencontre avec la danse singulière que Pina Bausch a inventé : « C’est une position confortable à la Pina Bausch » ironise Josephine Ann Endicott en montrant une arabesque.
L’absence d’un point de vue très affirmé et l’alternance trop convenue entre scènes de répétitions et entretiens face caméra avec les danseurs affaiblissent le film. Au début, Clémentine Deluy, qui transmet le rôle d’Iphigénie, rappelle que « Pina ne disait pas grand chose à ses danseurs. » Dommage que le film ne s’autorise pas la même parcimonie. La superposition trop systématique du son des séquences d’entretiens sur les scènes dansées montre que le réalisateur oublie que la danse est une forme d’expression et se suffit à elle-même. Mais malgré cela, Dancing Pina aborde avec justesse la question de la conservation de la danse, art par définition éphémère. Le surgissement d’images issues des captations des pièces de Pina Bausch qui se mêlent aux images des répétitions interroge les modalités de transmission de son œuvre. Ses pièces semblent faites pour être réinvesties : il ne s’agit pas seulement pour les danseurs d’apprendre une chorégraphie établie, mais de s’en approprier les mouvements, de les investir avec leur histoire. Qu’ils viennent de la danse classique, du hip-hop ou des danses traditionnelles, chacun devra apprivoiser un nouveau vocabulaire. La danse de Pina Bausch n’est pas réservée à certains corps, elle s’adresse à tous. C’est ce que rappelle Malou Airaudo à la danseuse Sangeun Lee: « N’aie pas peur d’être grande. C’est beau. Tu es belle. Ne te fais pas plus petite. »
L’ouverture du film montre Malou Airaudo et Clémentine Deluy en train de se remémorer le rôle d’Iphigénie avant de le transmettre à la compagnie du Semperoper. La séquence suivante est l’extrait d’une captation de la pièce. Le montage confronte alors deux formes mémorielles : la mémoire corporelle et la mémoire cinématographique, réveillant ainsi les interrogations qui demeurent lorsqu’il est question de la relation entre danse et cinéma. Comment l’art cinématographique peut-il mémoriser la danse ? À hauteur de ses modestes moyens, Dancing Pina contribue à la conservation et à la transmission de l’œuvre de Pina Bausch.
Dancing Pina / De Florian Heinzen-Ziob / Avec Malou Airaudo, Clémentine Deluy, Josephine Ann Endicott, Jorge Puerta Armenta / Allemagne / 1h52 / Sortie le 12 avril 2023.