
Les toute premières secondes des Trois Mousquetaires version 2023 annoncent, si l’on veut, la couleur : le film sera sombre, ou ne sera pas ! Fi des casaques bleu roi, du romantisme enthousiaste et des héros irréprochables. Dans une France fracturée, putride, où complots et pulsions belliqueuses font loi, le jeune D’Artagnan (François Civil) n’entre plus à Meung en plein jour, mais sous une nuit lugubre, une pluie corruptrice, où il croise sans la voir la fatale Milady (Eva Green) et son plan diabolique initié par le seul et vrai maître du royaume, le perfide cardinal de Richelieu (Eric Ruf). Début de l’intrigue, et déjà de l’ennui.
Le spectacle commence en un plan séquence, par une échauffourée opposant D’Artagnan aux hommes du vile ministre, une rixe dont on ne sent aucune estocade, qui ne virevolte pas, si tant est que le spectateur parvienne à la voir, enveloppée pourtant de toute la gravité requise, de cuivres zimmeriens qu’on croirait empruntés – appréciez l’euphémisme – à Batman. Batman, vous avez dit Batman ? Quid alors du nouveau, de la fougue de ces Trois Mousquetaires tant vantés par Jérôme Seydoux ? Serait-ce là quelque duperie de cardinal ? Hélas, elle semble aussi absente que l’âme de Dumas, ou pire, que l’art du cinéma, que Martin Bourboulon peine durement à trouver.
La faute à deux péchés mortels, inhérents à l’entreprise du film de studio dont Seydoux s’applique rigoureusement à suivre la recette, qui se manifestent d’emblée : la recherche coûte que coûte du spectaculaire et le parti d’une écriture hollywoodienne, celle du storytelling, entièrement dévouée à l’efficacité narrative. L’ennui ressenti ne procède alors jamais du récit, mais de ce que, étrangement, on ne le sent pas passer. L’émotion, le sentiment, se dérobent au galop ; un comble pour une œuvre dont l’amour, tant philia émulatrice que eros à la fois déceptif, destructeur et perverti, constitue la matrice.
Ici se niche la seule prouesse du film, celle de céder tête la première à l’académisme formel comme à l’affadissement du roman source, principaux écueils de toute adaptation. Que raconte le contexte de guerre de religion si ce n’est rien ? Hormis un climat délétère, de division, aux échos actuels. Quitte à rehausser ce qui relève surtout d’un arrière plan chez Dumas, il eût fallu peut-être le mettre en tension, avec les valeurs de solidarité et de fraternité qui unissent les Mousquetaires. On n’accusera personne d’avoir drastiquement revu la trame du livre, bien au contraire, mais manquer à ce point son esprit relève de l’impensé, plus grand des préjudices. Un détail cependant fait froncer un sourcil : cette séquence où Aramis (Romain Duris) torture un quidam à l’aide d’un crucifix resculpté, profané, pour la honteuse besogne. Ainsi, même le héros dumasien apparaît discrètement travesti, devenu un instant, sans équivoque, bourreau. Le personnage doit se ternir, comme si l’héroïsme franc n’était plus d’aujourd’hui. Telle est l’unique vertu d’un mauvais film, de donner à penser malgré lui comme objet culturel et politique.
On attendra tout de même la suite (meilleure partie du roman), titrée Milady, avant de sceller le pilori auquel on aura mis Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan. Car le film n’est pas sans qualité, quoiqu’elles soient parsemées : une scène de bal vénéneuse suivie d’une course-poursuite dans un décor gothique, un casting talentueux à l’acmé de son élégance ou (pour certains) de son sex-appeal, ou encore la langue de Dumas qui, grâce à Dieu, fraie quelques brèches bien senties dans un film standardisé qui oublie la seule valeur catégoriquement dumasienne : que diable ! de l’audace !
Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan / de Martin Bourboulon / Avec François Civil, Vincent Cassel, Romain Duris, Pio Maramaï, Eva Green, Eric Ruf, Louis Garrel, Vicky Krieps / France / 2h01 / Sortie le 05 avril 2023.