La Gravité

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© Alba Films

Le film ouvre sur une chute : celle de deux enfants, les yeux écarquillés et les mains tendues vers l’objectif, comme suppliant les spectateurs de les rattraper. Plus bas attendent deux autres enfants, Daniel et Joshua, qui regardent leurs frères tomber vers une mort certaine. 

Vingt ans plus tard, Daniel (Max Gomis) et son frère Joshua (Steve Tientcheu), maintenant paraplégique suite à sa chute, survivent dans une cité en trafiquant de l’héroïne au risque de s’attirer les foudres du gang des Ronins. Pourtant, chacun des deux frères excellent dans un domaine particulier, —l’un dans la course, l’autre dans l’ingénierie— qui pourrait leur permettre de trouver une échappatoire à cette jungle urbaine de plus en plus oppressante. Mais leur ancien ami, Christophe (Jean-Baptiste Anoumon), revient de prison après avoir été trahi. Ailleurs, les planètes s’alignent, prévision funeste.

Le premier acte entremêle la caractérisation de ses personnages à celle de cette cité sans nom, faite de ces rituels, d’antagonismes et de dangers. Cette forêt urbaine est celle d’extrêmes, à la fois dans ses habitants comme dans son identité visuelle, faite de gigantesques tours transperçant le ciel comme des lames d’acier. Au gris anthracite des rues et des couloirs se juxtapose les silhouettes fugitives des avions transperçant les nuages, cruels rappels qu’un monde meilleur existe, quelque part. Le réalisateur s’éloigne alors du style cru de Bac Nord et se rapproche plus de l’esthétique d’un Romain Gavras, révélant la beauté oppressante des banlieues sans jamais renier l’authenticité de ses personnages et de leurs luttes fratricides pour un avenir meilleur. 

À cette immersion réussie s’ajoute un cocktail jouissif des genres, à la croisée du thriller, du drame, du western, de la science-fiction et de la japanimation. Cette audace folle mais jamais incohérente accompagne les intrigues dans une osmose remarquable, même lorsque le vertige spatial de la science-fiction rencontre les galères de deux frères cherchant à cacher leur héroïne. Cédric Ido utilise avec justesse les grands espaces de cette cité labyrinthique pour entretenir un suspens remarquable, surtout grâce à son groupe d’antagonistes.

Loin d’un simple gang stéréotypé, ces Ronins sont le pinacle de la démarche pop et osée de l’auteur. Il s’agit d’un groupe d’adolescents rassemblés autour d’une drogue nouvelle et d’amour de manga pour nettoyer le quartier de ses « déchets ». D’une jeunesse trop apparente au point d’en être dérisoire, ces antagonistes tirent leur force dans leur esprit de groupe qui ne laisse transparaître aucune faille. Ils sont une masse implacable et déterminée, portrait terrifiant d’une jeunesse brisée, ivre de revanche envers ces adultes qui ont ruiné leur monde.

Il est toutefois dommage que le film abandonne cette richesse narrative et thématique dans un dernier tiers trop focalisé sur l’action et dont la science-fiction ne cesse de mettre à rude épreuve la crédibilité du récit. De plus, si la mise en scène grandiose rassemble tous les fils narratifs, leur résolution peine à convaincre car abandonnant les personnages dans un statu quo tout aussi incertain qu’au début du film. Qu’importe : La Gravité est autant la preuve d’une maîtrise artistique remarquable que de la naissance d’une voix singulière dans le paysage cinématographique français.

La Gravité / de Cédric Ido / avec Max Gomis, Jean Tientcheu, Jean-Baptiste Anoumon / France / 1h26 / sortie le 3 mai 2023

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