
Depuis quelques mois, et surtout depuis qu’il a reçu le Lion d’or à la Mostra de Venise en septembre dernier, le nouveau film d’Alfonso Cuarón est devenu l’incarnation du débat qui bouleverse le mode de distribution et de visionnement des œuvres de cinéma, avec sa sortie (quasi) exclusive sur Netflix. Il ne fait nul doute que Roma est un « film de cinéma », même si cette expression est un pléonasme, et que la meilleure façon de l’apprécier est en salle : l’image, tournée en 65 millimètres, est sublime, et la technique de son utilisée, le Dolby Atmos, a pour effet de multiplier les pistes et de recréer au mieux l’espace de la fiction dans la salle même de cinéma. Assez paradoxal, donc, de voir un tel film sur un ordinateur ou un téléphone… Toutefois, quelque soit les moyens qui sont à votre disposition pour voir Roma, il faut voir Roma, l’un des plus beaux films de l’année.
L’action se déroule au Mexique, au début des années 1970, et suit l’histoire de Cleo, une employée de maison indigène travaillant pour une famille dont elle est un véritable membre. Elle est une autre figure maternelle pour les enfants, et une alliée pour la mère, quittée par son mari au début du film.
Pour le réalisateur, c’est un retour au sein de son pays natal – le titre désigne un quartier de la capitale mexicaine où il a passé son enfance -, qu’il filmait déjà en noir et blanc dans son premier court-métrage, en 1983, Cuarteto para el fin del tiempo. Le choix d’adopter le point de vue de Cleo, magnifiquement interprétée par Yalitza Aparicio pour son tout premier rôle, permet au réalisateur de mettre en scène l’histoire personnelle d’une femme humble et courageuse, au destin aussi bouleversant qu’il est révélateur d’une mémoire collective.
Qui dit retour aux sources dit plongée mémorielle, appliquée avec rigueur dans la reconstitution, et avec sensibilité dans le traitement des événements. Le plus admirable dans le film réside sans doute en cette alliance réussie entre l’ambition technique du cinéaste – à travers un découpage d’une précision parfaite, des idées formelles poétiques et personnelles – et l’accent mis sur les petites choses du quotidien, avec ces plans délicats qui semblent revenus de visions d’enfance (la main du père au volant de sa voiture, un avion dans le ciel). Les souvenirs d’un cinéaste sont aussi, forcément, ceux des premiers films : on apprend, non sans délice, que La Grande vadrouille (Gérard Oury, 1966) connaissait un grand succès dans les salles mexicaines, et que les Naufragés de l’espace de John Sturges (1969) constitue une toute première source d’inspiration pour Gravity. L’apparence d’un changement d’horizon total pour Alfonso Cuarón qui, cinq ans après son survival stratosphérique multi-primé, réalise un portrait de femme et une autobiographie intime et familiale, n’en est que plus révélateur d’un parcours intime, répondant à cette nécessité de l’artiste de plonger au plus profond de son vécu pour livrer de purs moments de cinéma.
Roma / D’Alfonso Cuarón / Avec Yalitza Aparicio, Marina de Tavira, Daniela Demesa / Mexique – Etats-Unis / 2h15 / Sortie le 14 décembre 2018 sur Netflix.
Une réflexion sur « Roma »