
Seul dans la forêt, le père Gabriel (Jeremy Irons) regarde aux alentours, inquiet. Il marche à tâtons dans cet univers impénétrable. Pour contrer les éventuels dangers, là où certains empoigneraient leur arme, il se saisit de son hautbois. Il entonne alors un air envoûtant, potentiellement conciliateur. À son écoute, les Indiens Guaranis, arcs à la main, le guettent et s’avancent, méfiants mais curieux. Ils encerclent bientôt le prêtre qui continue à jouer. On dit que la musique adoucit les mœurs…
Cette scène emblématique de Mission, le fameux drame historique de Roland Joffé sorti en 1986, rythmée par l’inoubliable thème « Gabriel Oboe » composé par Ennio Morricone, résume l’une de ses tensions principales. La force de la musique origine avec intensité une véritable rencontre humaine à l’intérieur d’un conflit de civilisations. Nous sommes au XVIIIe sècle, le père Gabriel se rend sur les terres sud-américaines pour évangéliser, mais il adopte une approche musicale inédite qui le rapprochera des populations Guaranis au sein de la mission qu’il crée. Cette situation se verra perturbée par les ordres des états européens, prêts à se partager un territoire dont ils ignorent tout des habitants qu’ils ne regardent pas dans les yeux.
Jeremy Irons prête quant à lui l’expression de son regard à l’abnégation du père Gabriel, personnage inspirant, profond et complexe tant le contexte de la colonisation interroge son action. C’est ici le cœur du film, qui délivre un message pacifiste et humaniste sans jamais être simpliste, faisant la part belle à la personnalité des Indiens Guaranis et aux positions difficiles à tenir de ses protagonistes. Le duo que le prêtre compose avec Mendoza (Robert de Niro), ancien chasseur d’esclaves et fratricide en quête de rédemption, enrichit constamment une dialectique qui sous-tend chacune des scènes. On pense, désormais, au dernier chef-d’œuvre de Martin Scorsese, Silence (2016), qui se penche lui aussi sur le rôle des missionnaires (au Japon au XVIIe siècle) et l’épreuve de la foi confrontée à la violence. Les deux films étant aussi liés par la présence commune de Liam Neeson, comme si le comédien établissait un cheminement spirituel entre les deux films.
Autour de ses deux acteurs principaux et d’une photographie superbe, sublimant les paysages d’un Brésil préservé, Mission réunit de nombreuses qualités : il répond de manière grandiose aux exigences esthétiques imposées par le genre du drame historique, dont le cinéaste Roland Joffé s’est fait un spécialiste avec moins d’éclat par la suite, et parvient à se calibrer au format d’un cinéma commercial exigeant et grand public – ce que lui avaient reproché la plupart des critiques lors de sa sortie, tandis que le jury du Festival de Cannes présidé par Sydney Pollack lui remettait la Palme d’or.
Mission / De Roland Joffé / Avec Robert de Niro, Jeremy Irons, Ray McAnally, Liam Neeson / Etats-Unis – Royaume-Uni / 2h06 / 1986.
Très belle chronique sur ce film que je n’ai pas revu depuis de longues années. Le lien avec le très beau film de Scorsese m’apparaît effectivement incontournable.
Liam Neeson en passeur spirituel, j’aime cette idée qui en effet s’étend à d’autres rôles de sa carrière, notamment ses tout débuts lorsqu’il incarnait déjà des personnages habités par la foi.
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