
Placé sous l’égide des discours de paix et de fraternité de Mohamed Ali et de Martin Luther King, le nouveau film de Spike Lee tombe tristement à pic en ce moment. Les violences policières contre lesquelles le monde s’insurge suite à la mort de George Floyd à Minneapolis le 25 mai dernier résonnent avec les images d’archives présentées au début du film. Elles sont ici mises en avant pour pointer l’injustice dont font preuve les Etats-Unis à l’égard de leurs soldats Afro-Américains au moment de la guerre du Viêt Nam : ils étaient les premiers au front, et les derniers considérés comme des citoyens. Si leur rôle dans le conflit a été aussi peu traité par le cinéma que par les livres d’histoire, le film s’embourbe dans une narration indigeste qui dessert la force du propos.
Quatre vétérans se retrouvent, de nos jours, à Saigon, pour partir à la recherche de la dépouille de leur chef… et d’une caisse de lingots, censée se trouver au beau milieu de la jungle. Le postulat du film donne lieu à un démarrage plein de perspectives entraînantes. Il est rythmé par les retrouvailles des quatre amis, dans une ville qui leur rappelle des moments douloureux et des présences chères. La résurgence du passé dans un lieu marqué par le traumatisme de la guerre est un thème scandé tout au long du film. Il se manifeste par une alternance fluide de formats pour mettre en parallèle la violence du conflit avec le Viêt Nam d’aujourd’hui, terre de souvenirs meurtris. Le Viêt Nam est aussi une terre de cinéma. Spike Lee en profite pour multiplier les références à Apocalypse Now. Il rejoue le thème de la Chevauchée des Walkyries de Wagner sous un aspect anti-spectaculaire, réponse personnelle de la part d’un cinéaste envers le film devenu parangon du sujet.
Lorsque les personnages s’enfoncent dans la jungle, en revanche, les événements prennent une autre tournure. Da 5 Bloods se mue très maladroitement en récit d’aventure. Chaque moments d’action et de surprise sont préparés par une scène introductive pour dire le danger à venir, si bien que tous les rebondissements s’anticipent à des kilomètres à la ronde. L’énergie des comédiens, Delroy Lindo en tête, peine à cacher les grosses ficelles de la narration, celle-ci mettant en réseau des trafiquants Vietnamiens, un Français malhonnête (joué par Jean Reno) et une association humanitaire de déminage. Toutes ces pistes entremêlées conduisent inévitablement à des résolutions bâclées. La création de Da 5 Bloods semble en réalité uniquement motivée par l’insertion des images d’archives par lesquelles le discours anti-raciste du film se fait entendre, et par le biais des citations de héros oubliés de l’histoire noire-américaine. Mais pourquoi s’infliger le développement, durant deux heures trente, d’une intrigue inconsistante…
Da 5 Bloods / De Spike Lee / Avec Clarke Peters, Delroy Lindo, Isiah Whitlock Jr., Jonathan Majors, Chadwick Boseman, Norm Lewis, Jean Reno, Mélanie Thierry / Etats-Unis / 2h35 / Sur Netflix le 12 juin 2020.
Excellent article, qui synthétise parfaitement les forces et les faiblesses du film. J’avoue être aussi un peu dérouté par ce ton humoristique adopté par Lee. S’il se justifie par l’absurde dans Blackkklansman, il réduit ici le crédit apporté à cette vadrouille au Vietnam qui déterre les vieux démons de l’Amérique. Dommage.
J’aimeAimé par 1 personne