Le Côté de Guermantes

Théâtre Marigny

Réunion mondaine dans l’hôtel particulier des Guermantes ©Jean-Louis Fernandez

Adapter Marcel Proust sur scène est un tel défi que se rendre au théâtre pour voir Le Côté de Guermantes est à la fois très excitant et une source d’inquiétude. Comment incarner les mots de l’auteur d’À la recherche du temps perdu ? Comment mettre en scène une prose inouïe qui ne provoque des émotions profondes que parce qu’elle tient entièrement de la littérature? Christophe Honoré, avec la troupe de la Comédie-Française, répond à ces questions en choisissant de mettre l’accent sur l’univers aristocratique auquel appartient le narrateur du roman.

Le décor est un large hall au sol en damier, situé dans un hôtel particulier parisien, qui relie le salon des Guermantes et l’appartement de Marcel, venu s’y installer avec sa famille. Cet espace immense au style Belle Époque est le lieu unique de l’action, où circulent les dialogues mondains et les êtres qui peuplent l’univers de Marcel. Un monde auquel il appartient, mais son retrait des conversations crée une distance entre le jeune homme et tout ce qui l’entoure. Marcel (Stéphane Varupenne) est un être qui découvre, comprend, s’inspire, contemple, écoute, et c’est dans cette démarche existentielle qui le mènera à l’écriture que le personnage est surtout montré, moins comme le porteur de la langue proustienne que l’on pourrait attendre, hormis deux sublimes extraits qui encadrent la représentation. Son obsession pour la duchesse Oriane de Guermantes (Elsa Lepoivre) accompagne notre entrée dans la pièce avec une fascination partagée.

Les idées de mise en scène de Christophe Honoré convainquent à moitié. Le fond vert qui apparaît lorsque le marquis Robert de Saint-Loup et Marcel s’entretiennent sur un tableau est une façon intéressante de projeter soi-même des images évoquées par les personnages, mais on s’étonne de ce curieux choix de faire intervenir aléatoirement un perchman pour tendre le micro aux personnages, choisissant ceux que l’on doit entendre ou non. Quant aux moments chantés, sans doute des madeleines musicales pour Christophe Honoré – Lady d’Arbanville de Cat Stevens, Nights in white satin des Moody Blues-, on se demande vraisemblablement ce que cela apporte à l’ensemble. Mais pourquoi pas.

À l’intérieur de la farandole de dialogues légers et parfois hilarants (Laurent Lafitte et Serge Bagdassarian (se) régalent dans un plaisir constant du surjeu de la parole aristocratique), deux moments dramatiques contrastent douloureusement et ramènent aux épreuves fondatrices vécues par le narrateur de La Recherche. Le premier passe par un usage périlleux de la vidéo: de la part d’un cinéaste, cela pourrait fonctionner, mais il révèle au contraire qu’il est difficile de maîtriser sans gratuité l’usage du film au théâtre. Or, l’autre grand drame est sublime, avec l’arrivée de Charles Swann, incarné par Loïc Corbery, à la fin du spectacle. Une entrée superbe, fantastique, sur la scène du théâtre Marigny qui dévoile à l’arrière-plan un véritable jardin extérieur, une ouverture qui fait communiquer le réel et la salle. Enfin, une apparition.

La Côté de Guermantes / D’après Marcel Proust / Mise en scène de Christophe Honoré / Avec Stéphane Varupenne, Elsa Lepoivre, Laurent Lafitte, Serge Bagdassarian, Loïc Corbery, Dominique Blanc / Du 30 septembre au 15 novembre 2020 au Théâtre Marigny (Comédie-Française).

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