
Disponible en exclusivité sur Netflix, Les Sept de Chicago, deuxième long-métrage réalisé par Aaron Sorkin, est un sommet d’écriture particulièrement prenant doublé d’un grand film d’acteurs, mais peine à donner à son histoire déchirante le vertige esthétique qu’elle mérite.
S’il faut voir le scénario comme le squelette d’un film, seule la mise en scène permet d’y greffer suffisamment de chair, de sang et de cœur pour animer correctement l’ensemble. Sorti en 2018, Le Grand Jeu, premier coup d’essai du génial scénariste Aaron Sorkin derrière la caméra, illustrait à ses dépens la pertinence de cette complémentarité. Si le script du film brillait par la musicalité de ses dialogues, ses ruptures de ton et ses enchevêtrements de temporalités chers à son auteur, sa forme échouait toujours à transcender la narration, la faute à une esthétique générique et une caméra irrémédiablement figée. Il va sans dire que son deuxième long-métrage se révèle bien moins maladroit que son prédécesseur, mais conserve cependant quelques-unes de ses tares.
En 1969, aux Etats-Unis, un groupe d’activistes démocrates anti-guerre du Vietnam comparait devant les tribunaux pour avoir soi-disant orchestré les émeutes violentes de la Convention Démocrate de l’an passé. Soutenu par une large partie de la population, les sept comparses (auquel se rajoutent Bobby Seale, figure importante des Black Panthers) comprennent vite qu’ils sont les victimes d’une mascarade politicienne directement commandée par l’administration Nixon. Embourbés dans une guerre honteuse, les Républicains, au pouvoir depuis peu, entendent bien faire taire la contestation en punissant pour l’exemple ces objecteurs de conscience.
Pourtant écrit dès 2007 et initialement destiné à Steven Spielberg, Les Sept de Chicago apparaît rapidement comme un brulot politique très actuel, multipliant les paraboles – de la présidence catastrophique de Donald Trump aux problématiques raciales, cristallisées par le mouvement Black Lives Matter et la mort sordide de George Floyd. Les échos que le film adresse à notre monde actuel ne s’arrêtent d’ailleurs pas aux simples frontières américaines (n’oublions pas que la France connaît aussi son lot de violences institutionnelles et policières, comme en attestait il y a peu le brillant Un pays qui se tient sage). Il n’y a donc rien de surprenant à ce que le cinéaste choisisse le chemin classique du film de procès (un genre qui semble définitivement l’obséder) et la reconstitution historique minutieuse.
Un peu plus de deux heures durant, Sorkin ensevelit donc son spectateur sous une avalanche de faits, de discours et de détails qui confère à l’ensemble une dimension désespérée – rarement la quête de la vérité aura paru si exténuante. Il fallait bien le savoir-faire d’un auteur de son rang pour digérer l’effervescence d’une époque troublée et en retranscrire le moindre soubresaut avec une clarté exemplaire. Bien entendu, tout ou presque transite par la parole, ici plus compulsive et stylisée que jamais. Si Le Grand Jeu ne trouvait pas l’équilibre entre l’écriture psychologique et didactique de Sorkin et la tension fiévreuse d’une partie de poker, Les Sept de Chicago nous immerge avec une aisance déroutante dans les méandres d’une justice en crise, porté à bras-le-corps par un casting exceptionnel (on retiendra surtout un Sacha Baron Cohen en état de grâce, un Mark Rylance parfait en avocat rebelle et un Joseph Gordon-Levitt superbement tiraillé entre ses opinions politiques et sa morale inébranlable).
Pour autant, et malgré son indéniable efficacité, le film conserve les faiblesses artistiques du Grand Jeu et il est bien triste de constater, une fois encore, que Sorkin ne se dépareille jamais d’un filmage très télévisuel, malgré une direction artistique au cordeau. Il faudra attendre longtemps avant de voir la caméra décoller du sol pour abandonner un classicisme un peu ronflant et donner enfin du relief à la dramaturgie. On en vient à regretter l’absence d’un Spielberg inspiré pour retranscrire à l’image le bouillonnement intérieur de ses personnages. Nul doute que le film aurait gagné au change.
Les Sept de Chicago / D’Aaron Sorkin / Avec Eddie Redmayne, Sacha Baron Cohen, Mark Rylance, Jeremy Strong, Frank Langella / Etats-Unis – Angleterre – Inde / 2h09 / Sortie le 16 octobre 2020.