
Il vient de partager son court-métrage La Voix humaine, réalisé entre deux confinements, et commence cette semaine le tournage de son prochain film, Madres Paralelas, dans lequel Penélope Cruz le retrouvera pour la huitième fois. Depuis plus de 40 ans, Pedro Almodóvar construit une œuvre dramatique personnelle et stylisée de manière unique, qui raconte autant les mutations de son Espagne natale qu’il adopte une liberté de ton et de représentation inouïes. Retour sur dix grands films du maître.
Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier (1980)
Premier authentique long-métrage du cinéaste, Pepi, Luci, Bom… fait partie de ces premières œuvres que l’Histoire a peu à peu négligé, à tel point qu’il n’en existe aucune version restaurée. C’est pourtant un démarrage en trombe pour Almodóvar. S’inscrivant dans le courant artistique de la Movida, le film célèbre avec une exubérance jouissive la fin du franquisme. Le scénario n’est qu’un prétexte propice au surgissement d’une pulsion pamphlétaire visant probablement à torpiller les bonnes mœurs de la bourgeoisie madrilène (la sexualité y est présentée comme multiple et débordante, et l’on flirte par instants avec le SM et la scatophilie). Techniquement hasardeux mais définitivement unique. – Alexis Roux
Femmes au bord de la crise de nerfs (1988)
Alors que la société espagnole change à la fin des années 1980, affirmant sa transition démocratique, le cinéma d’Almodóvar évolue et s’apaise. Ce film marque un tournant : non plus anticonformiste comme ses précédentes provocations, ce vaudeville explosif mélange action et intrigues sentimentales, réunissant les composantes du cinéma que le cinéaste choisira désormais. Grâce aux « chicas Almodóvar », cette famille d’actrice qui le suivra, le réalisateur parfait sa maîtrise du rythme et des personnages hauts en couleur. Almodóvar naît enfin aux yeux du public mondial. – Victorien Daoût

Talons aiguilles (1991)
Le triangle amoureux à la sauce Almodóvar, ça donne quoi ? Dans Talons aiguilles, mère et fille se partagent le même amant. Enfant d’une célèbre chanteuse, Rebeca ne s’est jamais sentie à la hauteur et entreprend donc d’épouser Manuel, l’ancien amant de sa mère. Lorsque cette dernière (Marisa Paredes, figure maternelle récurrente dans l’œuvre du réalisateur) rentre à Madrid, les tensions au sein du trio ne font qu’accroître, jusqu’à ce que Manuel soit retrouvé mort. Une enquête est alors lancée pour découvrir qui des deux femmes a commis le crime. Au rythme de chansons ibériques, le cinéaste met en scène les différentes formes de rivalités filiales et genrées. Le résultat ? Un chassé-croisé entraînant dans un Madrid périlleux. – Chloé Caye
Tout sur ma mère (1999)
Esteban, pour son dix-septième anniversaire, demande à sa mère de l’emmener au théâtre voir son actrice préférée dans Un tramway nommé Désir. À la sortie de la pièce, il veut à tout prix obtenir un autographe, mais il est renversé par une voiture. Il lui faut une transplantation cardiaque. Ce film poignant est l’un des plus personnels de Pedro Almodóvar, en témoigne son alter ego, jeune homme passionné par l’écriture et la littérature, autour duquel la générosité ne fait que se propager. Le théâtre offre un espace parfait pour filer le motif du renversement : ici, les hommes sont devenus des femmes ou des acteurs – dans les deux cas, ils se travestissent, aboutissement de la normalisation de la figure du trans, synonyme de liberté totale. – V. D.
Parle avec elle (2002)
« Ton histoire avec Alicia, c’est un monologue ! » s’écrit Marco lorsque Benigno lui annonce qu’il veut épouser la jeune femme, dans le coma depuis quatre ans. Parle avec elle permet à Almodóvar de donner à la question du consentement une tournure particulièrement malsaine. À travers ces quatre personnages, il s’interroge sur l’acte d’aimer et la notion de couple. Il place pour cela le spectateur dans une position ambiguë en le rendant témoin d’actions dont les personnages ne semblent pas saisir la gravité. Almodóvar s’amuse ainsi à tester notre tolérance et à jouer avec nos appréhensions jusqu’à un final bouleversant. C. C.

La Mauvaise éducation (2004)
Dans les années 1980, Enrique et Ignacio, deux amis, se retrouvent alors qu’ils s’étaient perdus de vue. Le second a écrit un scénario à l’attention du premier : jadis, ils ont grandi dans le même établissement religieux, où un prêtre abusait d’Ignacio. Teinté de nombreux éléments autobiographiques (l’éducation religieuse, l’admiration du cinéma, l’amour des actrices), La Mauvaise éducation est un chef-d’œuvre de construction narrative, déchirant dans son rapport au temps et au passé. Avec un renversement des rôles qui sublime le féminin par le personnage de Gael García Bernal, dans son plus beau rôle mélodramatique. – V. D.
Volver (2006)
Chassé-croisé entre trois générations de femmes se battant pour exister dans l’Espagne populaire et désargentée, Volver est une étape cruciale dans la carrière d’Almodóvar. En équilibre sur le fil du tragi-comique, le long-métrage multiplie les tableaux pittoresques et dessine une série de portraits bouleversants. Il n’y a sans nul doute pas grand-chose de plus viscéralement déchirant que les yeux embués de Penélope Cruz. Mélancolique, exubérante, colérique, l’actrice trouve ici l’un de ses rôles les plus forts. – A. R.

La piel que habito (2011)
Drame familial, chirurgie, viol et Antonio Banderas. La piel que habito a tout d’un Almodóvar dérangé et dérangeant. Lorsque sa femme meurt tragiquement brûlée, Roberto tente de lui redonner vie. Pour ce faire, il détient captive la jeune Vera sur qui il effectue toutes sortes d’expériences. Autant sur les beautés que les dangers de la chair, La piel que habito est un labyrinthe dense et dévorant. La couleur fétiche du réalisateur n’orne pas ici un bâton de rouge à lèvres, ni l’intérieur baroque d’un appartement madrilène. C’est bien la couleur du sang qu’Almodóvar nous donne à voir, à toucher et à sentir. La virtuosité du cinéaste s’allie à son parfait maniement du sens de la fatalité pour donner vie à une œuvre aussi terrifiante qu’inoubliable. C. C.
Douleur et gloire (2019)
S’il faut manier l’étiquette « film-somme » avec la plus grande précaution, difficile de ne pas la dégainer au terme du visionnage de Douleur et gloire. Dans une démarche introspective d’une intensité rare, Almodóvar convoque dans un ballet mélancolique ses obsessions, ses acteurs et actrices fétiches, ses souvenirs de famille, ses traumatismes, ses regrets… Plus qu’un film « personnel », l’exercice relèverait presque du testament dont la virtuosité confine au vertige – le dernier plan en a sans doute secoué plus d’un. Un sacré tour de force. – A. R.

La Voix humaine (2021)
Avec ce film de trente minutes présenté l’année dernière à la Mostra de Venise, Pedro Almodóvar apporte du cinéma dans cet interminable confinement…. Mais il nous reconfine, puisqu’il s’agit d’un huis clos adapté d’un monologue de Jean Cocteau, texte qui le hante depuis au moins Femmes au bord de la crise de nerfs, qui en était déjà une libre adaptation. Dans un décor de cinéma désigné en tant que tel, comme une prise du conscience de l’existence d’un carcan dont il faut se défaire, une femme est en proie à la douleur après que son amant l’a quitté. Tilda Swinton, à qui la palette almodovarienne sied si bien, incarne avec brio cette modernisation du mythe de la femme abandonnée. – V. D.
Dans mes préférés, il y a aussi « En chair et en os » « Etreintes brisées » et « Julieta ».
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