
Les héroïnes de Julie Delpy, qu’elle incarne elle-même, observent souvent un parcours classique avant de commettre une déviance. Un trajet ordinaire qui verse dans l’impensable. C’était exemplairement le cas de la Comtesse Bathory (La Comtesse, 2009), qui commence par ressembler à une princesse contrariée en amour avant de se muer en figure gothique sadique. Dans un autre registre, Isabelle, la mère de la Zoé du titre, emprunte une route toute aussi surprenante, alors que son quotidien s’annonçait lambda…
La première partie du film ressemble à un faux remake convaincant de Réparer les vivants (Katell Quillévéré, 2016). Un couple dont le divorce est conflictuel se retrouve confronté à l’hospitalisation en urgence de leur fille. Elle ne s’est pas réveillée un matin, tombée inconsciente suite à une chute que sa nourrice avait jugée anodine. Bouleversement dans la vie de ce couple déjà déchiré. Pour l’une comme pour l’autre, désormais, plus rien ne compte, tout devient futile à côté du drame qui plonge Zoé entre la vie et la mort. Les dialogues entre le mari et la femme sont lourds de sens, percutants de rancœur, dans les appartements et à l’hôpital où tout leur vécu se retrouve brutalement convoqué. Une facette sensible de l’écriture de Julie Delpy, complémentaire de son sens de l’humour que l’on connaissait jusqu’ici à travers ses comédies situées entre Richard Linklater et Woody Allen (Two Days in Paris, 2007, Two Days in New York, 2012).
Quelque chose attire cependant l’attention hors du conflit familial : la profession d’Isabelle, généticienne. Difficile d’aller plus loin pour ne pas déflorer la surprise d’un scénario qui se permet d’aller aussi loin que son héroïne le permettra, mais le portrait du couple doublement brisé (la rupture puis le deuil) laisse place à un revirement inédit, très osé. Il pose une question d’éthique cruciale à la façon d’un film d’anticipation, totalement réaliste. Ce genre prend sa source dans un sentiment maternel que Julie Delpy fait si bien ressentir en offrant ses traits et sa détermination à Isabelle : le puissant désir de retrouver sa fille, de sentir son corps, de la toucher encore.
Le cinéma français actuel est stimulant lorsqu’il parvient à intégrer subtilement de la science-fiction dans un cadre qui ne s’y prêtre à priori pas du tout. Bruno Podalydès l’a fait sous le signe de la comédie critique, poétique et bienveillante avec Les 2 Alfred, tandis que Julie Delpy choisit le cadre du drame intime pour le subvertir de façon polémique. Défiant à la fois son entourage et la science, son personnage ne reculera devant rien ; peu importe l’avis des autres, sa volonté et son audace doivent être plus fortes que tout. En quelque sorte, la réalisatrice a filmé un bel autoportrait.
My Zoé / De Julie Delpy / Avec Julie Delpy, Richard Armitage, Daniel Brühl, Sophia Ally, Gemma Arterton / France – Allemagne – Grande-Bretagne / 1h42 / Sortie le 30 juin 2021.