Audition

Rétrospective J-Horror

© The Jokers / Les Bookmakers

Un producteur de cinéma veuf organise de fausses auditions pour trouver une nouvelle compagne. Le synopsis d’Audition ressemblerait à première vue plus à celui d’une comédie que d’un film d’horreur. C’est bien ce rapport extrême aux contrastes de ton qui frappe dans le film de Takashi Miike. Le cinéaste transforme sans concession l’humour en épouvante et bâtit un film en miroirs.

Après l’immense succès de Ring, la société de production Omega ne veut pas s’arrêter là : elle acquiert les droits du roman Audition de Murakami dans l’optique d’en tirer un nouveau film d’horreur populaire. Pourtant, élaborée comme une valeur sûre pour les producteurs, Audition se démarque considérablement d’autres œuvres du même genre. Sa première partie prenant effectivement une tournure plus comique qu’anticipé; permettant à Miike de se moque de la grossièreté de l’acte de casting. Un montage vif et cocasse nous laisse alors entrevoir différentes candidates et la réaction qu’elles provoquent chez les deux producteurs, maîtres des auditions. 

Déjà s’entame un jeu de dissimulation et de révélation, dans ce monde là – celui du cinéma – tout n’est que paraître. Lorsque Shigeharu jette son dévolue sur une des prétendantes au rôle, l’audition prend une toute autre tournure. Car il faut cette fois prétendre être non plus une actrice talentueuse mais une compagne idéale. Or à ce jeu de persuasion, personne ne gagne. Miike nous promène alors de rendez-vous galant en rendez-vous galant, brouillant temporalité et spatialité. Son montage arythmique et ses cadrages obtus ne nous permettent jamais de réellement concevoir ou comprendre l’état de la relation, ou son évolution. De ces curieuses prestations de séduction, il met en exergue les artifices. Et alors, place à l’horreur…

Plus le protagoniste cherche à connaître le passé de Asami – la posséder par la connaissance la plus totale et intime de son existence – plus elle lui échappe. Le ton léger que le cinéaste employait jusqu’ici disparaît doucement pour laisser place à une atmosphère troublante, peuplée de visions terrifiantes. L’on comprend alors – en même temps que le personnage – que la jeune femme, victime de violences aux mains d’un homme dans sa jeunesse, cherche en réalité uniquement à se venger. Cette seconde moitié se construit donc en réponse à la première : le jugement masculin doit se mesurer à celui féminin. Film féministe ou profondément machiste ? Difficile de se prononcer. En revanche, ce qui est certain est que l’horreur d’Audition trouve sa force dans des cauchemars essentiellement masculins. Cette intense, et remarquablement mise en scène, peur de représailles affectera sans doute plus une certaine moitié des spectateurs que l’autre.

Quoiqu’il en soit, Audition vaut le détour avant tout grâce à sa lente et tortueuse construction (en totale opposition avec son achèvement, admettons-le, plutôt grotesque). C’est en exploitant savamment l’attente et la frustration de ses spectateurs que Miike les manipule le mieux. En les faisant s’identifier à des personnages ivres de savoir, qui finalement n’apprennent rien. En les faisant re-considérer ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent dans un monde qui se déguise silencieusement, sournoisement et ce faisant, se désintègre, constamment.

Audition / De Takashi Miike / Avec Ryo Ishibashi, Eihi Shiina et Tetsu Sawaki / Japon / 1h55 / 1999.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 31 rue Claude Bernard, 75005 Paris ; 0630953176

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