Bientôt vingt ans que Dark Water est sorti en salle, bien qu’il soit empreint de l’esthétique si particulière des films d’horreur des années 2000, le long-métrage d’Hideo Nakata n’a que peu perdu de sa fraîcheur.
Dark Water c’est avant tout une volonté purement cinématographique de rendre visible ce qui ne l’est pas : le fantôme, l’intangible, l’évanescence… Cette idée semble obséder Nakata puisqu’il en a fait le sujet de son diptyque Ring et Ring 2, également adapté des romans de Kōji Suzuki et sorti quelques années auparavant. Films qui lui apporteront une notoriété internationale. Ici ce n’est pas la VHS (le support de toutes les craintes de la disparition de la salle de cinéma) qui enferme le fantôme et annonce la mort, mais quelque chose de plus anodin, surtout d’une dimension plus spirituelle et liée au folklore de son pays natal. Une fuite d’eau. Tout part de là, l’eau comme le surnaturel s’infiltre dans le film, en imbibe la structure et finit par déborder, dégouliner de chaque plan. C’est là le génie de Nakata, rendre visible par l’eau l’autre monde, celui qui dans ces histoires de fantômes finit justement par submerger le nôtre. L’exotisme du film tient aussi à cela, l’idée de purification ou de pureté qu’induit la plupart du temps l’eau dans le cinéma européen est ici renversée. Le liquide devient l’horreur qui surgit des murs, détrempe le moral pour finir par noyer ses protagonistes au sens littéral.
La force du film se prolonge aussi dans le renouvellement du genre des Yūrei Eiga, des films adaptant des histoires de fantômes du folklore japonais qui eurent un grand succès dans les années 1950. Cette réadaptation ne se contente pas d’en rajeunir les intrigues en en changeant les décors, l’époque et les protagonistes. Elle se déploie dans une idée qui irrigue la veine de tout un pan du cinéma fantastique, sa dimension sociale. Ce récit horrifique de l’esprit d’une petite fille esseulée se construit en écho à l’histoire des deux héroïnes. Une mère quasi-orpheline et une petite fille qui se trouve, malgré elle, centre du déchirement de ses parents après leur divorce, dans un société japonaise où la garde partagée n’existe pas. Les trois figures féminines se font perpétuels échos, esseulées chacune à leur manière, dont les souvenirs se mêlent leur créant presque un passé commun, une voie univoque. Une triple lutte se déploie, contre l’idée de perdre sa mère, contre un esseulement forcé et enfin contre un système social, qui encore une fois s’incarne, de différentes manières, en chacune de ces femmes.
Même si le jeu d’acteur, comme certains effets (heureusement discrets) ont pu vieillir et que le sursaut auquel nous a habitué le cinéma d’horreur n’est pas vraiment au rendez-vous, Dark Water nous propose une belle virée fantastique. Au cinéma en version restaurée, que demander de plus !
Dark Water / Avec Hitomi Kuroki, Rio Kanno, Asami Mizukawa, Mirei Oguchi et Fumiyo Kohinata / Japon / 1h41 / 2002.