
Histoire singulière de l’amitié qui se développe entre un jeune homme perturbé et une héritière vivant dans une maison qui a perdu sa gloire d’antan, Nitram suit la descente aux enfers de son personnage éponyme, joué à la perfection par Caleb Landry Jones (prix d’interprétation masculine du Festival de Cannes en 2021) pour s’achever dans la plus cruelle des violences.
Nitram est un film dérangeant : un mélange d’espoirs brisés, de mélancolie, de malaise et de violence prête à exploser. Tout reste sous la surface jusqu’à ce qu’après un tragique accident, la cruauté jaillisse par vagues, comme celles que le personnage tente de surfer, en vain. Bourdonnement sourd des abeilles, battements de cœur de Nitram lorsqu’il plaque un stéthoscope sur sa poitrine, explosion des pétards, tous ces bruits concourent à rendre sensibles les accès soudains de violence du personnage principal.
Le film est d’abord assez lent mais prend un rythme plus soutenu lorsque Nitram rencontre Helen (Essie Davis) . Celle-ci entre en concurrence avec le personnage de la mère (Judy Davis) et les fissures de ces relations familiales bancales sont exposées au grand jour. La mère est peut-être l’un des personnages les plus étranges du film, annonçant la brutalité de son propre fils.
Comme pour son premier film, Les crimes de Snowtown, Justin Kurzel s’est à nouveau inspiré d’un fait divers. Le film a été tourné dans l’État de Tasmanie en Australie, où eut lieu en 1996 la tuerie de Port Arthur. Martin Bryant, un jeune homme blond aux allures de surfeur, avait fusillé trente-cinq personnes et blessé plus d’une vingtaine d’autres. Nitram (titre et nom du personnage, signifiant Martin à l’envers) met en scène ces évènements. L’originalité du film tient au fait qu’il faut pourtant presque attendre sa fin pour voir Nitram prendre en mains une arme à feu.
Le feu des armes est présent de manière métaphorique sous une autre forme tout au long du métrage, celle des pétards que le personnage principal s’amuse à allumer, synonymes de son esprit troublé. Les plans mettent également magistralement en scène les éléments naturels, notamment dans une scène semblable au tableau Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich, où l’eau de la mer déchaînée frappe les rochers sur lesquels Nitram se tient. Le film a une dimension picturale qui révèle les paysages magnifiques de Tasmanie, contrastant avec son propos.
Le déchaînement final du mal n’est pas montré à l’écran, restant hors-champ et en silence, contrastant avec le reste du film. Avant le générique de fin, le réalisateur interpelle le spectateur sur le fait qu’il y a aujourd’hui plus d’armes à feu en circulation en Australie qu’au moment des faits. Justin Kurzel ne se contente donc pas de filmer une tuerie de masse, il livre essentiellement le récit cruel d’un jeune homme perdu, à la fois réel et fictionnel, afin de mettre en scène un plaidoyer pour un resserrement des lois concernant le port d’armes en Australie.
Nitram / De Justin Kurzel / Avec Caleb Landry Jones, Essie Davis et Judy Davis / Australie / 1h50 / Sortie le 11 mai 2022.