
Après le pétillant Jeune femme (Caméra d’or à Cannes en 2017), Léonor Serraille signe une chronique poignante sur une famille monoparentale immigrée en France. Inspirée par l’histoire de son compagnon, la réalisatrice explore la fragilité des liens familiaux dans une fresque qui relève à la fois de l’intime et du politique. Paris, 1989 : Rose a quitté la Côte d’Ivoire avec ses fils Jean et Ernest pour construire une meilleure vie dans la capitale française.
Un petit frère se déploie dans un triptyque qui couvre trois décennies et où chaque protagoniste a droit à son segment. On traverse les trente dernières années en adoptant successivement les points de vue de Rose, Jean et Ernest. Loin de corseter le film, cette structure en chapitres donne un cadre émancipateur pour trois portraits qui gagnent en densité au fil des parties. La mobilité du point de vue associée à un montage qui manie l’ellipse avec liberté donne à cette chronique son caractère organique.
Bien que le titre polarise l’attention sur le personnage d’Ernest, c’est plutôt celui de Rose, magnifiquement interprétée par Annabelle Lengronne, qui porte le film. Un petit frère semble être avant tout le portrait de cette mère qui affronte l’exil avec courage et espoir. Relégué à un hors-champ lointain, son passé demeurera flou. Ce qui compte pour elle, c’est l’avenir. « Il faut être des champions. Des vrais champions. Il faut travailler à l’école, il faut être plus fort que les autres ! » dit-elle à ses deux fils. Femme de ménage dans un hôtel, Rose supporte un quotidien éreintant parce qu’elle s’accroche à la perspective de jours meilleurs. Mais si elle apparaît indépendante dans le premier chapitre, on découvre progressivement que la ligne est très fine entre émancipation et aliénation. Quant à Jean et Ernest, ils s’efforcent de répondre aux ambitions que leur mère nourrit pour eux. Rose entraîne ainsi ses fils à la poursuite d’un bonheur économique, conjugal et familial.
Le temps qui passe, les liens qui se délitent… Le film traduit ces changements dans l’espace. Le placard en banlieue parisienne, le deux pièces à Rouen puis l’appartement spacieux finalement acheté témoignent de la trajectoire économique parcourue. Mais le bonheur matériel est obtenu au détriment de l’harmonie familiale. Dans la promiscuité du placard, Rose et ses enfants dormaient ensemble, jouaient et se maquillaient en guerrier. Tandis que le dernier appartement ne sera que le témoin d’une famille déchirée.
Jamais la question du déracinement n’aura été aussi bien abordée au cinéma. Celle-ci prend plusieurs visages, du racisme ordinaire au délitement des liens entre une mère et son fils, en passant par la musique – une association significative de compositions de Bach et de chants gabonais. Qu’est-ce que ça veut dire « être une famille » ? Est-ce qu’on abandonne jamais ses racines ? Entremêlant trois itinéraires de vie, cette chronique familiale esquisse des réponses à ces questions, au travers d’une déchirante histoire d’amour.
Un petit frère / De Léonor Serraille / Avec Annabelle Lengronne, Stéphane Bak, Kenzo Sambin, Ahmed Sylla / 1h56 / France / Sortie le 1er février.