
Au cinéma ce mois-ci, quand les films d’auteurs français fantasment dans un Paris des années 30 une accusation de meurtre où les femmes sont acquittées et glorifiées pour légitime défense, le cinéma sur une société iranienne actuelle affiche tristement le contraire. En Iran la légitime défense ne vaut rien.
La cinéaste allemande Steffi Niederzoll expose dans son premier documentaire l’affaire Reyhaneh Jabbari : ce sombre épisode d’oppression, cette annihilation des droits, cette profonde injustice qui retentissait en Iran entre la fin des années 2000 et 2010. Le documentaire réagence les évènements de manière chronologique, depuis la rencontre entre Reyhaneh et son futur agresseur, à l’accusation de meurtre de la jeune femme et jusqu’à sa mise à mort, en 2014. « Tu aurais dû te laisser violer pour porter plainte après » lui dit-on. Le long-métrage révèle les sept années de combat de Reyhaneh et de sa famille pour faire valoir ses droits en tant que femme dans un pays où les lois sur le viol sont écrites et instituées par les hommes.
Zar Amir Ebrahimi, la fantastique interprète des Nuits de Mashaad – qui lui valut l’année dernière le Prix d’interprétation féminine à Cannes – donne sa voix à la victime. L’histoire de Reyhaneh est rapportée par la lecture à voix haute de certaines de ses lettres ou par la déformation sonore de son timbre par un appel téléphonique, devenu le rare moyen de communication entre la jeune femme et sa famille, une fois incarcérée. « Je vivais dans une maison remplie d’amour » affirme un commentaire de la victime. Niederzoll élève l’histoire de la famille Jabbari alors que se mêlent images d’archives, photographies et témoignages.
Le film oscille entre une horizontalité cinématographique réfléchie et la verticalité d’images de poche prises sur le vif. Sept hivers à Téhéran refuse les reconstitutions maladroites et limite ainsi son esthétique aux frontières entre cinéma et télévision. De lents travellings sur les espaces se contentent de traduire la pesante ambiance et renforcent le propos. Les images parlent d’elles-mêmes. La réalisatrice conserve ainsi dans un premier temps une sobriété de mise en scène et une certaine réserve vis-à-vis des faits et des spectateurs. Elle narre, nous imaginons. Dans un second temps, les images filmées de et par la famille sont, à l’instar de la situation de la jeune femme et de ses proches, subies par le spectateur. Les procédés techniques interpellent quant à notre rapport aujourd’hui aux images mobiles et à l’atteinte de la sphère intime. Ces choix nous amènent à questionner la démarche formelle. Dans quelle mesure l’utilisation de l’image de poche, forme de voyeurisme moderne, est-elle un moyen d’appel à l’aide, une manière de toucher le plus grand nombre ?
« Arrête ton cinéma Reyhaneh ». Nous ne pouvons que saluer le courage de Steffi Niederzoll qui utilise ici l’objet film pour sa portée universelle. Prix pour la Paix à la Berlinale cette année, voici peut-être la preuve qu’il fallait en faire du cinéma, indice que le médium reste un moyen de transmission d’information à large portée, pour, nous l’espérons, changer les choses.
Sept hivers à Téhéran / De Steffi Niederzoll / Avec Zar Amir Ebrahimi, Reyhaneh Jabbari, Shole Pakravan / Allemagne, France / 1h37/ Sortie le 29 mars 2023.
Très belle critique pour ce film qui élargit le champ des responsabilités d’un art plus que jamais essentiel, aujourd’hui plus que jamais à l’heure du réveil des obscurantismes. Je n’ai pas encore eu le temps de le voir, mais je le place dans mes priorités.
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